Kèmi Séba et notre droit à la révolte

L'activiste panafricain Kèmi Séba

Sans partager les raccourcis populistes de Kèmi Séba, on peut au moins se demander si son combat n’est pas légitime. A ceux qui s’attaquent à cet africain d’origine Béninoise de nationalité française (il s’appelle en fait Stellio Gilles Robert Capo-Chichi), arguant qu’il a violé les lois sénégalaises en brûlant un billet de 5000 FCFA, il faut simplement se demander si l’esclavage et l’apartheid n’étaient pas parfaitement légaux. Je ne veux donc pas parler de la légalité du geste de Kèmi Séba. Allons au fond du débat.

Par Olivier Allocheme

L’Afrique n’est pas la seule région du monde à avoir été colonisée. Presque tous les pays du monde l’ont été, y compris la France elle-même. Mais le problème, c’est l’attitude des élites africaines après la période coloniale. Quelques exemples existants peuvent cependant mieux éclairer les uns et les autres sur la démarche de l’activiste Kèmi Séba.

Le Laos, ce pays d’Asie du Sud-Est a été contraint de signer en 1899 un traité de protectorat avec la France. Il finit toutefois par acquérir son indépendance le 19 juillet 1949. Dès cet instant, les dirigeants laotiens changent la langue officielle qui passe du Français au Lao et, en 1954, dotent leur pays d’une nouvelle monnaie, le Kip.

Toujours dans la région, le Vietnam, ce pays d’environ 93 millions d’habitants aujourd’hui était occupé par la France dès 1858. Mais à partir de 1945, les nationalistes s’engagent dans une longue guerre d’indépendance qui s’achève par l’humiliante défaite française dans la cuvette de “Diên Biên Phu” en mai 1954 puis en 1973 par la défaite américaine (plus de 58.000 Américains vont y périr, sans compter les quelques 123.303 blessés). Une fois après avoir obtenu l’indépendance, les dirigeants du pays ont changé la monnaie coloniale française, le Piastre, désormais remplacée par le Dong et la langue officielle qui passe immédiatement du Français au Vietnamien. Finissons cette exploration par la Syrie placée sous administration française par la Société des Nations (SDN) en 1920. Mais dès 1944, le parti Baas proclame unilatéralement l’indépendance du pays, en s’exposant aux représailles françaises. Deux ans plus tard, la monnaie coloniale française est remplacée par la Livre Syrienne et le Français a fait place à l’Arabe devenu la langue officielle. Aujourd’hui en Syrie, le Français reste une langue marginale après l’Arabe, l’Anglais, le Russe et le Chinois.
Lisez donc le philosophe allemand Günther Anders qui a publié en 1956 un ouvrage intitulé « Die Antiquiertheit des Menschen » (L’obsolescence de l’homme). Il y théorise les principes mêmes de la domination des esprits dans les Etats. Günther Anders affirme en effet que “toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels. On observe cependant, qu’il est très facile de corrompre un individu subversif : il suffit de lui proposer de l’argent et du pouvoir”.

Lorsqu’en 1958, la Guinée de Sékou Touré avait arraché son indépendance à la France, le général de Gaulle lui en fit voir de toutes les couleurs. Le pays a été inondé de faux billets pour déstabiliser la nouvelle monnaie, le franc guinéen. Les bâtiments coloniaux, les écoles, les hôpitaux, les routes et les rails ont été éventrés et rasés pour servir de leçon à tous ceux qui, de par l’Afrique noire ou même au-delà, pouvaient encore nourrir des tentations d’indépendance. Est-ce ce terrorisme d’Etat qui continue d’instiller le tremblement et la panique chez les Africains francophones dès qu’on leur dit qu’ils ont eux aussi droit à la dignité monétaire ? Question.

Mieux, tous ceux qui, comme Kèmi Séba, ont tenté de lutter contre le système FCFA, ont été soit assassinés (cas de l’économiste camerounais Joseph Tchundjang Pouemi assassiné le 27 décembre 1984, alors qu’il avait publié en 1980 un ouvrage critique sur le FCFA), soit exposés à la manœuvre de l’argent et du pouvoir (cas de l’économiste togolais Kako Nubukpo qui ne succomba pas malgré sa nomination comme Directeur de la Francophonie Economique et Numérique). Contre leurs patries, l’écrasante majorité des élites africaines ont succombé aux attraits de l’argent et du pouvoir.

Regardez vous-même. Adossé à une monnaie forte (l’Euro) qui est un énorme frein aux exportations, le FCFA mérite un autre destin que seuls les Africains courageux et déterminés sont capables de lui apporter. Et c’est bien pourquoi des actions comme celles de Kèmi Séba doivent se multiplier et se propager pour nous sortir de la honte et de la lâcheté.