Procès d’un massacre dans l’ouest ivoirien: un ex-chef de guerre accablé par ses victimes

Amade Oueremi (tee-shirt rayé), ancien chef de guerre et milicien accusé d'assassinats massifs dans l'Ouest de la Côte d'Ivoire en 2011, arrive à son procès à Abidjan, sous escorte policière, le 1er avil 2021. afp.com - SIA KAMBOU

“J’ai vu mon mari tué sous mes yeux”: une dizaine de femmes ont témoigné jeudi au procès de l’ancien chef de milice Amadé Ouérémi sur la terreur qu’il fit régner dans la ville de Duékoué, théâtre des pires massacres dans l’ouest de la Côte d’Ivoire en 2011, lors de la crise post-électorale.

Par Christophe KOFFI

Surnommé “le Seigneur”, Amadé Ouérémi, 57 ans, comparaît depuis le 24 mars devant la cour d’assises d’Abidjan, accusé “d’assassinats massifs”.

Cet ex-chef de guerre, alors en lutte, à la tête de sa milice, contre les milices rivales et forces gouvernementales soutenant le régime du président Laurent Gbagbo, comparait notamment pour des tueries perpétrées le 28 mars 2011 dans le quartier Carrefour de Duékoué, où 817 personnes furent exécutées en une journée, selon la Croix-Rouge, 300 selon l’ONU. Il encourt la prison à perpétuité.

Appelée à la barre, Odette Klahon, la soixantaine, la main gauche amputée, avance au micro, accompagnée de son interprète pour témoigner, dix ans après.

“Dans le quartier Carrefour, ils n’ont pas fait de détails, cassant les portes, à la recherche d’hommes valides. C’est pendant ces troubles que mon mari fut arrêté et exécuté devant moi”, raconte la vieille dame, sanglée dans un ensemble pagne rouge bordeaux, signe d’un deuil profond.

“Mon bourreau voulait m’arracher mon petit-fils de quatre ans, je résistais, quand à l’aide d’un chevron il l’assomma et tira dans ma main. Mon petit-fils mourut sur le coup et moi j’ai pu fuir pour me réfugier à la mission catholique de la ville, la main en sang et enjambant des corps. Après avoir bénéficié des premiers soins de bénévoles de MSF, j’ai été amputée de la main gauche plus tard”, poursuit Mme Klahon.

Un autre témoin, Myriam Koulade, raconte à son tour l’enfer qu’elle a vécu.

“Tout a commencé à 16h le lundi 28 mars 2011 (…) On entendait les coups de feu partout. Nous nous sommes retrouvés à 40 personnes dans notre maison pour nous mettre à l’abri des tirs. Au petit matin du 29 mars, ils ont commencé à rentrer dans les maisons à la recherche des hommes en proférant des menaces : +Nous allons tuer vos maris et partir avec vous. Vous serez nos femmes+”.

– Gris-gris et visage peint –

“Le quartier était pris en otage par des hommes en armes bardés de gris-gris”. C’était le sauve-qui-peut. Il y avait des scènes de pillage partout, des maisons incendiées. C’est en allant chercher refuge à la mission catholique que mon mari (Bakoue Léon, 54 ans) a été assassiné sous mes yeux, ainsi que mon neveu Zoé Brice”, raconte-elle.

Les neuf femmes qui ont témoigné ont fait état “des corps sans vie qui gisaient partout à Carrefour”, un massacre perpétré selon elles par les hommes d’Amadé Ouérémi, le visage peint en noir, armés de kalachnikov, des machettes et des faucilles.

L’Ouest de la Côte d’Ivoire, grande zone de production de cacao, a été l’un des points chauds de la crise post-électorale de 2010-2011, née du refus du président Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite électorale face à Alassane Ouattara, et qui a fait 3.000 morts.

Selon l’ONU et plusieurs organisations internationales, la prise de Duékoué en mars 2011 par les combattants pro-Ouattara s’est accompagnée de massacres à grande échelle.

Sur fond de problèmes fonciers, la crise politique avait débouché sur des violences communautaires entre Guérés, l’ethnie locale majoritairement pro-Gbagbo, et habitants “allogènes”, notamment Dioulas venus du Nord majoritairement pro-Ouattara, et des immigrés burkinabè.

Frêle, masque protecteur sur la bouche, Amadé Ouéremie, habillé d’un t-shirt défraichi sur un pantalon noir, chaussé de sandalettes, s’est étonné d’être seul dans le box des accusés.

“Je ne peux pas payer seul pour les autres, j’étais un élément des FRCI (forces rebelles qui avaient pris la ville le 27 mars). Nous combattions les Libériens et miliciens pro-Gbagbo qui semaient la terreur dans la zone”. “Ils nous ont tués, nous avons aussi tué chez eux”, a-t-il expliqué dans un français approximatif.