Depuis la validation par la Cour Suprême américaine du texte du président Donald Trump qui interdit l’accès au territoire américain aux ressortissants de six pays dont le Tchad, c’est la grande indignation du côté des tchadiens qui vivent au pays de l’oncle Sam. Abdallah Djorkodei, Chef de file de l’opposition tchadienne aux États-Unis et Secrétaire National Chargé des relations avec les partis politiques et groupes organisés du Conseil National de la Résistance pour la Démocratie(CNRD) a confié lors d’un entretien à Infostime qu’il s’agit d’une conséquence directe de la gestion hasardeuse du régime du président Idriss Déby. M. Djorkodei va plus loin dans ses propos en pointant du doigts, les implications de façade des autorités de Ndjaména dans la lutte contre Boko Haram et même dans des affaires de corruption à l’échelle internationale dans lesquelles sont impliquées de hauts responsables tchadiens.
Propos recueillis par Irene Herman
Infostime: Monsieur Abdallah Djorkodei, c’est officiel. La maison Blanche a officiellement fermé la porte des Etats-Unis aux ressortissants Tchadiens. Comment appréciez vous cette position américaine vis-à-vis de votre pays d’origine, le Tchad ?
Cette position est la conséquence directe du comportement terroriste du régime de Ndjamena et la mauvaise gestion de nos documents de voyage. Les États-Unis d’Amérique sont un pays indépendant et souverain. Donc, libre dans leurs décisions. Alors, je respecte en toute honnêteté la décision de la Cour suprême américaine. La position américaine aurait dû être beaucoup plus sévère envers le régime en place au Tchad plutôt qu’envers le peuple tchadien dans sa totalité. À mon avis, ce sont les tchadiens qui collaborent avec ce régime prédateur et terroriste d’Idriss Deby qui doivent être listés et interdits d’accès au territoire américain.
Infostime: Croyez-vous sincèrement que le Tchad mérite sa place parmi les pays qualifiés de batillons de terroristes par les USA ?
Vous savez, le FBI a un bureau au Tchad depuis 2014. Sa mission officielle est de contrer le terrorisme international notamment celui de Boko Haram et d’AQMI. Beaucoup d’observateurs africains et étrangers, issus du monde de la politique, des médias, de la société civile et autres institutions, se sont heurtés à des questions sur le développement exponentiel de la secte nigériane Boko Haram et surtout sa résistance. Ils sont aussi frappés par ses moyens financiers et ses équipements de guerre, son approvisionnement en munitions. Une secte aussi puissante qui défie sur le terrain quatre Etats frontaliers ayant des moyens conséquents et une expérience avérée comme le Tchad, le Nigéria, le Niger et le Cameroun. N’est-ce pas un mystère ?
Au-delà donc des rapports des différentes organisations et institutions internationales qui peuvent être mis en doute, il apparaît clairement que le Tchad de Deby a armé Boko Haram. Comme il l’a fait autrefois avec la rébellion du MJE au Soudan, avec la SELEKA en Centrafrique. Il faut savoir qu’au Tchad, l’arsenal militaire du pays est géré exclusivement par la famille et proches parents du Président Deby. Ces derniers se livrent depuis de longues années à un trafic d’armes et de minutions en direction non seulement de Boko Haram mais aussi jusqu’en République Démocratique du Congo ( RDC).
Plusieurs responsables de Boko Haram ont trouvé refuge au Tchad. C’est le cas du milliardaire nigérian Mbodou Cherif alias SAS, ex-Gouverneur de l’Etat de Borno, connu pour avoir soutenu financièrement la secte islamique à ses débuts.
Les combattants de Boko Haram peuvent être des Nigérians, des Nigériens, des Tchadiens, des Camerounais et même d’autres pays. Leur identification pose problème. Surtout au Tchad où les documents de voyage (passeport, carte d’identité, Laisser-passer…) sont une question de bourse. En effet, contrairement à tous les autres Etats africains où ces Services sont intrinsèquement rattachés au ministère de l’intérieur et de la sécurité, au Tchad c’est à une entreprise privée, dirigée par un tout jeune neveu du Président Deby, à qui cette délicate mission a été confiée. La sécurité est ainsi sacrifiée à l’autel d’un juteux marché pour le clan Deby. Et ce n’est pas une surprise que la première injonction de la cellule du FBI à Ndjaména a été de fermer immédiatement ce commerce sur les documents officiels et de rattacher ce service au ministère de l’intérieur. C’est ce qui fut fait aussitôt. Pour la petite histoire, la rupture « abusive » du contrat par l’Etat tchadien a engendré un dédommagement de 22 milliards à l’entreprise du neveu de Deby !
Donc, aujourd’hui, des individus avec un passeport tchadien, il y en a beaucoup et de toutes les origines. Ils voyagent partout en Afrique mais aussi en France, en Grande-Bretagne, au Canada et même aux Etats-Unis d’Amérique. La majorité de ces personnes qui ne sont pas des tchadiens et se présentent comme des migrants, des réfugiés politiques.
Evidemment, le Tchad en tant que pays ne mérite pas une telle étiquette. Car les fils du Tchad se battent contre ces groupes fanatiques, extrémistes et dangereux au Mali et au Niger. Leur sacrifice est incomparable par rapport à l’engagement des autres pays directement ou indirectement menacés par ces groupes terroristes.
Infostime: Le président tchadien Idriss Deby accuse ouvertement les Etats-Unis de vouloir déstabiliser son pays. Comment réagissez vous à cela ?
Si tel est le cas, c’est tout le peuple tchadien, dans son ensemble, qui manifestera contre les Etats-Unis d’Amérique. Or, vous avez tous constaté qu’il n’y avait que les des militants du parti du président, le Mouvement Patriotique du Salut (MPS) qui ont été mobilisés pour une marche politique en soutien à leur chef. Ni les partis politiques de l’opposition, ni les organisations de la société civile, ni la diaspora tchadienne, aucune autre entité hors du pouvoir en place n’a soutenu cette manifestation. C’est que quoi ? Le véritablement problème du Tchad est ailleurs. Le pays n’est pas la propriété d’Idriss Deby. Et, c’est plutôt sa gestion calamiteuse depuis plus d’un quart de siècle qui a totalement déstabilisé le Tchad et hypothéqué presque toutes ses chances d’amorcer enfin son développement socio-économique.
Il est de notoriété publique que le Tchad est dans la profondeur du gouffre. La crise financière et économique, indépendamment de la chute du prix du baril du pétrole, fouette les ménages tchadiens depuis très longtemps déjà, sans que les gouvernements successifs d’Idriss Deby ne puissent apporter la moindre solution. Bien au contraire, chaque jour qui passe au pays de Toumaï, des scandales de corruptions, de détournements des deniers publics, des conflits d’intérêt, pour ne citer que ceux là ne font qu’éclabousser Idriss Deby, sa famille, son clan et ses alliés.
Alors entre Idriss Deby et les Américains, qui peut être accusé de déstabiliser ouvertement le Tchad ? Pour la majorité écrasante du peuple tchadien, la déstabilisation voire la destruction du Tchad a commencé depuis le 1er décembre 1990 et se poursuit. Quant aux Américains, ils sont présents sur notre sol, une équipe de 80 agents du FBI a ses bureaux à Ndjaména. Ils ont aussi une base militaire au Niger voisin et dans d’autres pays non loin du Tchad. Déstabiliser un régime fragilisé et très impopulaire comme celui de Deby serait un jeu pour les Américains quand on sait que les casseroles du Président tchadien sont nombreuses. Idriss Deby sait comment cela se passe.
Infostime: Il y a quelques semaines, la presse américaine impliquait Idriss Deby dans une affaire de corruption. N’est-ce pas une preuve de tentative de destabilisation que dénonçaient récemment des manifestants à Ndjamena ?
La Justice américaine ne verse pas dans les cabales politiques. Et Idriss Deby est un habitué des faits aux relents mafieux. Les exemples ne manquent pas et tous les observateurs qui suivent le Tchad depuis 1990 savent bien de quoi je parle. Cependant, pour répondre à votre question, il s’agit précisément d’une grosse affaire de corruption portant sur l’exploitation d’un gisement pétrolier au Tchad au profit d’une compagnie pétrolière chinoise.
L’ancien ministre des affaires étrangères du Sénégal (2000-2009), Dr. Cheikh Tidiane Gadio, qui entretient de relations douteuses avec Monsieur Deby, a été recruté par les chinois pour travailler le Président tchadien. Sa tâche consistait à empêcher le respect des procédures légales à savoir le lancement d’un appel d’offres internationales, écarter tous les éventuels autres soumissionnaires et s’assurer que la société chinoise ait les droits sur l’exploitation du Pétrole tchadien.
En agissant ainsi, M. Gadio a oeuvré contre une saine concurrence entre plusieurs sociétés. Ce qui est interdit par la loi. Mieux, l’argent de la transaction a été envoyé par les banques américaines, de manière frauduleuse, à une fondation basée à Hong-Kong et en Virginie (USA), ce qui prouve que Gadio était conscient qu’il agissait dans l’illégalité totale, d’où ce camouflage.
Il est établi dans cette affaire que Idriss Deby a touché 2 millions de dollars, et Gadio a encaissé une commission de 400.000 dollars. Les échanges de mails entre Gadio et Deby ont été versés au dossier d’accusation. Autrement dit, les preuves sont là, irréfutables, en béton armé, y compris les échanges de mails entre Gadio et les Chinois au sujet de Deby. Gadio raconte dans ses mails que « The big man », autrement dit, Idriss Deby est d’accord sur notre deal. Et, dit-il : « je lui ai proposé qu’on se voit avec lui dans son village en plein désert (Amdjaress, 900 km de la capitale tchadienne), loin des regards des concurrents et ennemis qui peuvent mettre à mal nos projets. Peut-être qu’on va nous dispenser de visas car ce serait plus prudent. Je lui ai proposé (à Deby) que l’argent soit officiellement remis à une fondation », précaution prise par Gadio pour les virements bancaires à partir des banques américaines. Cela, espérait-t-il, serait suffisant pour tromper le système bancaire américain.
Le gouvernement tchadien et la société chinoise ont, comme il fallait s’y attendre, démenti les termes de l’accusation du Procureur. Un simple démenti de façade qui peut s’assimiler à une gesticulation médiatique sans lendemain.
Pour l’heure, l’ancien ministre sénégalais a bénéficié d’une liberté provisoire après avoir payé une caution de 500 millions de francs Cfa et est mis sous contrôle avec un bracelet électronique qui l’empêche de quitter les Etats-Unis. Quant à M. Chi Ping Patrick Ho, responsable de l’ONG, le juge l’a maintenu en prison. Idriss Deby, il a désormais cette affaire collée à sa peau et tôt ou tard elle le rattrapera quelque part. Wait and see.