Sur le fleuve Oubangui, les “péages” des groupes armés centrafricains

Des pêcheurs sur le fleuve Ubangui, à Bangui, le 1er janvier 2016. Credit Photo: VOA

Sur le fleuve Oubangui, qui longe le sud de la Centrafrique, des groupes armés ont installé des postes de “péage”, une véritable manne financière pour ces milices qui contrôlent la majeure partie du pays.

Par Charles Bouessel

“Il suffit d’avoir une arme, tu crées un poste de péage sur le fleuve. Du coup les marchandises sont trop chères, certains ont abandonné le commerce à cause de cela”, explique un piroguier sur le fleuve Oubangui.

Depuis fin 2014, des miliciens rattchés aux groupes armés occupent des dizaines de petites paillotes sur la rive du fleuve, taxant pirogues et bateaux chargés de marchandises.

Entre Bangui et Mobaye (est), sur environ 600 km un seul de ces “péages” est contrôlé par la gendarmerie, car ce sont les antibalakas – milices prétendant défendre les chrétiens pour lutter contre les rebelles de la coalition rebelle Séléka – ou bien les l’UPC (Unité pour la Centrafrique, issus de la rébellion Séléka) qui tiennent la plupart des postes, indique le chercheur Soleil-Parfait Kalessopo, qui a collaboré avec l’institut de recherche belge International Peace Information Service (IPIS).

Sur ce trajet, les baleinières, ces bateaux à fond plat d’au moins 10 mètres de long, doivent ainsi s’arrêter à plus de 10 postes, explique le chercheur.

Pour les plus petites embarcations que sont les pirogues, 19 “péages” séparent Bangui de Bangassou, ville située après Mobaye, à plus de 700 km à l’est de Bangui, ajoute M. Kalessopo, précisant que les piroguiers ne traversent pas tous ces postes.

“Ils ne font que des portions de trajet car sinon ils payeraient trop cher”, explique le chercheur.

– des milliers d’euros pour les groupes armés –

A chaque péage, une pirogue doit s’acquitter d’un impôt compris entre 500 FCFA (0,76 euros) et 2.500 FCFA (3,81 euros), selon sa taille, en plus de taxes spécifiques sur chaque marchandise: 500 FCFA par fagot de bois, 100 FCFA (0,15 euros) par sac de manioc, 1.000 FCFA (1,52 euros) par sac de poissons.

Pour les baleinières, qui peuvent transporter plus de marchandises que les pirogues, la taxe générale comprise entre 10.000 FCFA (15,2 euros) et 40.000 FCFA (60.98 euros) en plus des charges spécifiques.

Au total, ces bateaux payent plus de 300 euros par poste pour le transport de cargaisons diverses, estime un rapport de l’IPIS daté de décembre et décortiquant l’économie politique des barrières routières en Centrafrique.

Le transport du bétail reste le plus onéreux, selon ce même rapport.

Aux postes contrôlés par l’UPC, la redevance est de 10.000 FCFA (15 euros) par bête, ce qui assure, selon l’IPIS, un revenu de 16.000 euros par semaine à ce groupe.

Les milices antibalakas et/ou les forces de l’ordre prélèvent une taxe inférieure, comprise entre 2.000 FCFA (3 euros) et 5.000 FCFA (7,6 euros) par tête de bétail, toujours selon l’IPIS et selon plusieurs témoignages recueillis par l’AFP sur le fleuve.

– Hausse des prix à Bangui –

En Centrafrique, où près de 80 % de la population est toujours en situation d’extrême pauvreté selon la Banque mondiale, le coût des denrées alimentaires est un casse-tête du quotidien.

“Ce genre de taxation illégale fait grimper le prix des marchandises”, soulignait le rapport de 2016 du panel des experts de l’ONU.

“Un poisson coûte 2.500 FCFA (3,81 euros) ici”, estime un pêcheur travaillant à 980 km de Bangui.

Mais dans la capitale, ce même poisson est revendu à un prix variant entre 5.000 FCFA (7,6 euros) et 7.000 FCFA (10,6 euros) “suivant les périodes”, déplore-t-il.

En novembre 2015 ou en mars 2016, les transporteurs fluviaux ont suspendu leurs activités pour protester contre ces taxations, affectant les stocks de la capitale.

Pis, les contrôles se font parfois avec des violences.

“Si on ne s’arrêtent pas, c’est une manière d’accepter la mort”, explique le chef d’un village au bord du fleuve.

“Il y avait aussi des viols de femmes aux postes des antibalakas”, déplore-t-il.

Aujourd’hui, les violences semblent avoir diminué. “Les antibalakas se sont calmés depuis la condamnation du général Andjilo (un chef antibalaka qui a été condamné au travaux forcés à perpétuité en janvier)”, explique un usager du fleuve.

Au poste de Zawara, à plus d’une centaine de kilomètres à l’est de Bangui, en ce début de mois de mars, la taxation se déroule calmement sous la surveillance discrète d’un antibalaka armé d’une kalashnikov.

Le chef du poste affirme ne pas taxer les pirogues: “Nous sommes ici simplement pour assurer la sécurité de la population”. Les regards tendus des piroguiers qui accostent semblent dire le contraire.

Avec l’AFP