A Madagascar, débauche de moyens chez les favoris à la présidentielle

Le candidat à la présidentielle de Madagascar Andry Rajoelina arrive à Tulear le 4 novembre 2018 | AFP/Archives | MARCO LONGARI

Un hélicoptère affrété par l’ex-président malgache Andry Rajoelina atterrit en face de son QG de campagne et de sa télévision. Dans un pays miné par la pauvreté et la corruption, des candidats à la présidentielle déploient des moyens colossaux pour convaincre les électeurs.

Par Béatrice DEBUT, Tsiresena MANJAKAHERY

Pour son dernier meeting dans la capitale à J-3, Hery Rajaonarimampianina, autre poids lourd de l’élection, a sorti le grand jeu avec des stars de la chanson qui ponctuent ses interventions. Un drone retransmet, sur la chaîne i-BC qui lui est fidèle, des images du stade comble du Coliseum.

La veille, le millionnaire Marc Ravalomanana avait utilisé une recette similaire, dans le stade aussi bondé Mahamasina à Antananarivo. Il avait toutefois innové en installant un zeppelin avec son portrait.

Ancien organisateur de soirées, Andry Rajoelina affiche les moyens de campagne les plus imposants. Il se retrouve en terrain connu lorsqu’il enchaîne sur scène promesses, vidéos, musiques rythmées et feux d’artifice.

Pour l’emporter, les trois favoris du premier tour de l’élection présidentielle, tous anciens présidents, affichent sans retenue leurs moyens, écrasant les 33 autres candidats en lice.

Ils inondent les villes et villages de tee-shirts. Ils sillonnent, en hélicoptère à leurs couleurs de campagne, un pays au réseau routier calamiteux.

Pendant cette campagne, “une minorité active fait des investissements énormes qui choquent”, estime le chef de la mission des observateurs de l’Union européenne (UE), Cristian Preda.

Louer un hélicoptère, par exemple, coûte plusieurs milliers de dollars par jour, souligne l’organisation Transparency International Initiative Madagascar (TIIM).

De quoi donner le tournis aux autres candidats.

“L’un d’eux s’est plaint pour nous dire qu’il lui manquait 100 millions de dollars pour gagner”, raconte à l’AFP Cristian Preda.

Les favoris restent extrêmement discrets sur leurs budgets, dans un pays qui n’a cessé de s’appauvrir depuis l’indépendance.

Mais en 2013, Hery Rajaonarimampianina avait englouti 43 millions de dollars pour sa campagne victorieuse, soit deux fois plus que l’Américain Donald Trump par voix obtenue, selon une étude financée par l’UE.

– “Opacité” –

Les ONG Rohy et (TIIM) dénoncent “l’indécence du déploiement de moyens énormes par certains candidats face à la pauvreté ambiante”.

Et les observateurs regrettent l’absence du plafonnement des dépenses, qui alimente les soupçons.

Cette année, une commission sur le financement des comptes de campagne a bien été mise en place, mais “son bureau à la Cour des comptes est minuscule et ils sont délogés dès qu’il y a une réunion”, poursuit Cristian Preda.

“Ce qui nous scandalise, c’est qu’on ne sait pas d’où vient l’argent” de la campagne dans un des pays les plus corrompus au monde, explique Ketakandriana Rafitoson du TIIM.

L’ONG a demandé aux candidats de communiquer le montant de leur budget et leurs origines.

Seuls six candidats sur les 36 – des “petits” – ont répondu au questionnaire. “Ca confirme notre conviction sur l’opacité de la campagne”, s’inquiète Ketakandriana Rafitoson.

Andry Rajoelina promet de jouer la transparence à la fin de la campagne. “Je vais bien évidemment donner les documents en ce qui concerne les fonds de ma campagne”, assure-t-il à l’AFP.

Marc Ravalomanana explique, lui, ne payer ni les hélicoptères, qui appartiennent à un “ami” en Afrique du Sud, ni les artistes qui participent à ses meetings.

“J’ai fait une campagne à la mesure de mon image et raisonnable vis-à-vis de la population”, se défend de son côté Hery Rajaonarimampianina.

– “Spectaculaire”‘ –

Deux des trois favoris, Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana, possèdent également chacun leur chaîne de télévision. Le troisième dispose de plusieurs chaînes privées qui ont ouvertement pris parti pour lui.

Pour gagner, “avoir un média est incontournable”, estime Joël Ralaivaohita, directeur de la publication chez MBS, la chaîne de télévision de Marc Ravalomanana.

Ces médias proposent bien de diffuser les spots d’autres candidats, mais à un coût rédhibitoire pour la plupart des outsiders: entre 25.000 et 75.000 euros pour un spot de 30 secondes chez MBS et Viva, la chaîne d’Andry Rajoelina.

“Convaincre a un coût spectaculaire”, estime un chef d’entreprise proche d’Andry Rajoelina. “Par rapport à la pauvreté ambiante, évidemment il y a un contraste, mais pour arriver à ses fins, il faut se donner les moyens”, ajoute-t-il sous couvert d’anonymat.

Dans un quartier misérable de la capitale, on s’indigne. “C’est choquant qu’ils dépensent autant. Ils ne nous regardent même pas”, se plaint Jimmy Ramaherison, qui survit en vendant des boulons.

“Il y a une corruption pas possible” chez les favoris, s’indigne Ny Rado Rafalimanana. “Si on est le pays le plus pauvre au monde, c’est à cause de ces gens-là”, affirme-t-il. “Il faut arrêter ça maintenant”.