En 2013, le lancement de l’opération Serval pour stopper l’avancée de djihadistes vers Bamako, la capitale malienne, avait rencontré un franc succès et était présenté comme une victoire contre le terrorisme. Six ans après, l’armée française est toujours présente sur le territoire, les scènes de liesse accueillant François Hollande en héros à Tombouctou semblent avoir laissé place à un scepticisme qui brouille l’avenir de l’intervention française au Mali et dans le Sahel.
Par Moutiou Adjibi Nourou
Barkhane et ses 700 millions d’euros
En 2013, la France avait consacré 647 millions d’euros pour la mise en œuvre de l’opération Serval. En un an et demi, cette intervention française, présentée comme un véritable succès, a permis de mettre en déroute des groupes armés djihadistes dont la descente vers le sud menaçait Bamako et les milliers de ressortissants français vivant sur le territoire malien. On se souvient de la fameuse image de l’ancien président François Hollande et du chameau qui lui avait été offert par une population en liesse, heureux d’accueillir le héros venu délivrer le pays des terroristes.
Surfant sur le succès de cette première opération, Paris décidera un peu plus tard de lancer une opération à plus grande échelle pour combattre les islamistes qui sèment la terreur dans plusieurs pays du Sahel.
Le 1er août 2014, l’opération Barkhane prend donc la suite de l’opération Serval et s’étend à la Mauritanie, au Mali, au Burkina Faso, au Niger ainsi qu’au Tchad. Entre 3000 à 4500 soldats français sont mobilisés pour un budget annuel de l’ordre de 700 millions d’euros. Objectif visé : neutraliser la menace terroriste avant qu’elle n’arrive aux portes de l’Europe.
« Le but de cette présence, c’est d’empêcher que l’autoroute de tous les trafics ne devienne un lieu de passage permanent de reconstitution des groupes djihadistes, ce qui entraînerait des conséquences graves pour notre sécurité », déclarait en 2014 Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense.
5 ans après, le manque de résultat a donné naissance à un scepticisme quant à l’efficacité de l’opération Barkhane. Il faut dire que, malgré la neutralisation de plusieurs combattants et chefs djihadistes, l’opération Barkhane n’a pas permis de réduire les violences dans le Sahel, au Mali, notamment. Celles-ci ont d’ailleurs pris de l’ampleur, suite au changement de mode opératoire des terroristes qui mènent désormais des attaques éclair contre les forces armées de l’opération Barkhane et des pays du Sahel.
Les attaques visant civils et militaires deviennent monnaie courante. Le 18 novembre dernier, 43 soldats maliens étaient tués au cours d’une patrouille organisée dans l’est du pays avec des forces nigériennes. Quelques jours plus tard, 13 soldats français périssaient dans le crash de leurs hélicoptères alors qu’ils menaient une opération anti-djihadiste, portant à 41 le nombre de militaires français tués au Sahel depuis le début de l’intervention française en 2013. En l’espace d’un mois, l’armée malienne a perdu plus d’une centaine de ses hommes dans des attaques menées par des groupes armés terroristes.
L’enlisement du conflit au Mali a contribué à alimenter un sentiment anti-français au sein de la population, certains allant même jusqu’à accuser Paris d’être de connivence avec les groupes terroristes.
« Entre 2013 et 2015, on a vu très rapidement après les signatures des accords de paix de Ouagadougou et Alger pour le Mali, que l’opinion malienne changeait vis-à-vis de la présence des troupes françaises. Les gens soutenaient l’opération Serval, mais ne comprenaient pas pourquoi cela se prolongeait par l’opération Barkhane », commentait Aurélien Tobie, chercheur et chargé de mission en faveur de la paix au Mali pour le Stockholm international peace research institute, cité par Slate.
« Les habitants ont aussi eu le sentiment que la France “collaborait” avec des “ennemis” du Mali, comme le MNLA, avec des alliances sur le terrain ».
Et d’ajouter : « Les habitants ont aussi eu le sentiment que la France “collaborait” avec des “ennemis” du Mali, comme le MNLA [Mouvement national de libération de l’Azawad, favorable à l’indépendance de ce territoire désertique situé au nord du pays, ndlr], avec des alliances sur le terrain ».
La question libyenne et les conflits intercommunautaires
Pour de nombreux experts, la résurgence des attaques djihadistes au Mali et dans le Sahel est étroitement liée à la situation qui prévaut en Libye. Depuis la chute du Guide libyen Mouammar Kadhafi, le pays est sujet à la prolifération de nombreux groupes armés dont les activités de trafic et de terrorisme déstabilisent la région.
« C’est le chaos libyen qui a amplifié les menaces auxquelles nos pays [les pays du G5 Sahel, ndlr] sont exposés », indiquait à cet effet Mahamadou Issoufou président du Niger, lors de la conférence des bailleurs de fonds et partenaires financiers du G5 Sahel, qui s’est tenue à Nouakchott, fin 2018. Et d’ajouter : « Que cela soit l’aspect développement ou l’aspect militaire et sécuritaire, nous ne pouvons créer les conditions de la stabilisation du Sahel, que si nous arrivons à sortir du chaos libyen ». Certains pays n’hésitent pas à pointer du doigt l’Etat français, accusant l’Hexagone de n’avoir pas assuré le « service après-vente » en Libye, après le renversement du régime Kadhafi avec l’appui de l’Elysée.
« Que cela soit l’aspect développement ou l’aspect militaire et sécuritaire, nous ne pouvons créer les conditions de la stabilisation du Sahel, que si nous arrivons à sortir du chaos libyen ».
De plus, la multiplication des conflits intercommunautaires a créé un terreau fertile pour l’expansion des violences terroristes. Une situation encore plus intense au Mali qui a enregistré ces derniers mois une hausse des violences inter-ethniques. L’ONU a dénombré en 2018 plus d’une centaine d’incidents de violence communautaire ayant occasionné au moins 300 civils tués, dans le centre et le nord du pays. Cette violence a vu s’opposer des « groupes d’auto-défense », entraînant le pillage et la destruction de dizaines de villages et le déplacement de dizaines de milliers de personnes. Le 23 mars dernier, à Ogossagou, plus de 160 villageois peuls étaient massacrés par des hommes associés à l’ethnie Dogon.
Pour Mamadou Savadogo, chercheur sur les questions de sécurité au Burkina Faso, les groupes terroristes ont trouvé dans ces affrontements communautaires, un nouveau moyen d’étendre leurs actions. Pour l’expert, les groupes djihadistes ont adopté la stratégie du « terrorisme communautaire ». « Ils s’intègrent au sein des populations et les utilisent pour atteindre leur objectif ».
Pour l’expert, les groupes djihadistes ont adopté la stratégie du « terrorisme communautaire ». « Ils s’intègrent au sein des populations et les utilisent pour atteindre leur objectif ».
La multiplication de ces violences a créé un sentiment d’insatisfaction au sein de la population malienne pour qui les responsables sont à la fois les groupes armés et les terroristes pour leurs violences, mais également les forces armées maliennes, les forces de l’ONU et l’opération Barkhane pour leur inefficacité.
« Les violences intercommunautaires, c’est vraiment le risque majeur », expliquait à RFI, le général Frédéric Blachon ancien commandant de la force Barkhane. « On connaît après le cycle de représailles, donc c’est vraiment la hantise de toutes les forces armées. Ces combats intercommunautaires peuvent avoir des tas de raisons, et c’est à nous d’éviter d’en rajouter ».
Un G5 Sahel inoffensif
Si l’opération Barkhane semble autant s’enliser, c’est également parce que les principaux pays impliqués dans la guerre antiterroriste au Sahel n’ont pas encore réussi à donner la preuve de leur efficacité, quant à la gestion autonome de la crise qui secoue la région. Regroupés au sein du G5 Sahel, le Mali, le Niger, le Burkina Faso, la Mauritanie et le Tchad ont émis dès 2014, l’idée de créer une force régionale transnationale et autonome capable de neutraliser la menace terroriste et de résorber l’insécurité dans la région. Cinq ans après son lancement, force est de constater que l’organisation peine à être opérationnelle.
Regroupés au sein du G5 Sahel, le Mali, le Niger, le Burkina Faso, la Mauritanie et le Tchad ont émis dès 2014, l’idée de créer une force régionale transnationale et autonome capable de neutraliser la menace terroriste et de résorber l’insécurité dans la région.
Essentiellement en cause, le manque de financement pour démarrer les activités de la force armée du G5 Sahel, dont le budget de lancement est estimé à 400 millions d’euros. Si plusieurs partenaires, dont l’Union européenne (UE), les Etats-Unis et l’Arabie saoudite, ont promis des millions de dollars pour soutenir l’initiative, les financements tardent à être débloqués.
Il y a quelques semaines, la France reprochait d’ailleurs à l’Arabie saoudite d’avoir manqué à ses engagements financiers envers la force de sécurité conjointe. « Pour le G5, il y a eu une première phase de mobilisation de la communauté internationale et d’engagement des bailleurs de fonds à armer le G5, mais il y a eu des retards […] L’Arabie saoudite n’a toujours pas honoré la promesse de soutien qu’elle a faite […] et je ne peux que regretter qu’elle n’honore pas les engagements qu’elle prend », avait déclaré Florence Parly, ministre française des Armées.
Les pays du G5, qui ne cessent de déplorer un manque de solidarité de la communauté internationale, n’ont généralement pas d’autre choix que de dépendre de leur allié français dans le difficile combat contre les groupes terroristes.
Les pays du G5, qui ne cessent de déplorer un manque de solidarité de la communauté internationale, n’ont généralement pas d’autre choix que de dépendre de leur allié français dans le difficile combat contre les groupes terroristes.
« L’alliance militaire du G5 Sahel est évidemment une bonne idée, mais comme toute force interafricaine, elle peine à se mettre en place en grande partie par la lenteur des ressources qui lui sont accordées, à côté, encore une fois, d’une MINUSMA inutile qui coûte presque autant chaque année que tous les budgets de défense réunis des cinq Etats de la région », déclarait au Figaro, Michel Goya, historien de la guerre. « Tout cela va bien au-delà du ciblage de chefs djihadistes et nous échappe largement. Pour autant, si Barkhane n’était pas là, ce chaos serait bien plus important. Barkhane est comme une clé de voûte, bloquée, mais indispensable », ajoute-t-il.
Un aspect social négligé
Depuis le lancement des opérations antiterroristes dans le Sahel, les questions militaires semblent avoir supplanté les questions sociales, pourtant essentielles pour régler la crise sécuritaire de la région.
En 2017, Corinne Dufka, directrice adjointe de la division Afrique de l’ONG Human Rights Watch, déclarait : « Bamako refuse d’admettre que la mal-gouvernance est la principale racine des maux de la région […] Paris, comme les puissances régionales, prêtent beaucoup trop d’attention à l’aspect militaire de la lutte contre les djihadistes, pas assez au terreau qui l’alimente ».
« Bamako refuse d’admettre que la mal-gouvernance est la principale racine des maux de la région […] Paris, comme les puissances régionales, prêtent beaucoup trop d’attention à l’aspect militaire de la lutte contre les djihadistes, pas assez au terreau qui l’alimente ».
Les conflits sécuritaires, combinés aux chocs climatiques menacent la sécurité alimentaire de millions de personnes dans la région. D’après le bureau des Nations unies pour les affaires humanitaires, on comptait en 2014, 20 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire dans le Sahel, dont 2,5 millions qui ont besoin d’assistance humanitaire d’urgence pour survivre. Rien qu’au Burkina Faso, au moins 486 000 personnes ont été contraintes de fuir leur foyer, ce qui porte à 860 000 le nombre total de personnes déplacées, si on ajoute les chiffres du Mali et du Niger. Plus de 270 000 personnes vivent déjà comme des réfugiés dans ces pays. Ces populations, déjà pauvres, abandonnent pour la plupart les maigres biens qu’elles possèdent afin de sauver leurs vies et généralement se battre pour se partager des ressources d’eau et de nourriture insuffisantes. Une situation qui exacerbe le risque de violences déjà élevé dans la région.
Ces populations, déjà pauvres, abandonnent pour la plupart les maigres biens qu’elles possèdent afin de sauver leurs vies et généralement se battre pour se partager des ressources d’eau et de nourriture insuffisantes.
« La concurrence féroce pour ces ressources vitales alimente les conflits et renforce les efforts de radicalisation des groupes militants qui se sont installés dans la région », commentait à cet effet Hervé Verhoosel, porte-parole du Programme alimentaire mondial (PAM).
L’organisation en décembre 2018 d’une Conférence internationale des donateurs du G5 Sahel semble néanmoins traduire une prise de conscience collective, quant à l’urgence de répondre aux défis sociaux dans le Sahel. La rencontre avait en effet permis de mobiliser plus de 2 milliards d’euros d’engagements financiers en faveur du Programme d’investissement prioritaire (PIP) du G5 Sahel. Celui-ci comporte une quarantaine de projets répartis sur plusieurs axes, à savoir : la défense et la sécurité, la gouvernance, les infrastructures, la résilience et le développement humain.
Une chose est sûre, l’option militaire s’est jusqu’à présent avérée inefficace. Les groupes terroristes semblent s’être adaptés à la présence française et multiplient les attaques de façon quasi hebdomadaire.
Les groupes terroristes semblent s’être adaptés à la présence française et multiplient les attaques de façon quasi hebdomadaire.
D’un autre côté, le développement d’un sentiment anti-français au sein de la population malienne n’est pas pour arranger les choses. Même si un récent sondage de l’institut IFOP montre que 58% des Français sont favorables à un maintien des troupes au Mali, l’annonce par le président Emmanuel Macron d’un réexamen de la stratégie des forces antidjihadistes françaises au Sahel semble souligner la nécessité de réorienter les actions de la France dans la région.
Avec l’agence Ecofin