Le reporter de guerre Xavier Muntz, dont Arte diffuse mardi soir une enquête documentaire sur les origines du groupe Boko Haram au nord-est du Nigeria, juge que “la corruption a fait le lit” de l’ultra-violence islamiste. Auteur du documentaire “Encerclés par l’Etat islamique” réalisé en Irak et primé par le Prix Bayeux 2015, Xavier Muntz, 42 ans, est parti cette fois au Nigeria où sévit Boko Haram.
Le groupe islamiste s’illustre dans des actions sanguinaires, attaques de villages, attentats kamikazes, qui ont fait quelque 20.000 morts depuis 2009.
Il est aussi responsable de l’enlèvement de 2.000 personnes. La communauté internationale avait été émue par le retentissant rapt de 219 lycéennes à Chibok (nord-est), en avril 2014.
Xavier Muntz décrypte l’extraordinaire mutation de ce qui, en 2002, n’était qu’une secte islamiste dirigée par le charismatique prédicateur sunnite, Mohamed Yusuf.
L’exécution de Yusuf en pleine rue, à la sortie d’un interrogatoire militaire en 2009 a signé le tournant du mouvement, dont les images d’archives, éprouvantes, sont “très rares, et très, très chères”, explique le reporter à l’AFP.
“Yusuf était une colombe” en comparaison du “faucon” Abubakar Shekau, son premier lieutenant, qui sévit depuis à la tête du groupe et qui “rejette” en bloc la civilisation occidentale.
La secte nigériane a prêté allégeance au printemps 2015 à l’Etat islamique (EI) qu’elle entend représenter désormais en Afrique de l’Ouest.
– Soldats “au chargeur vide” –
Ce tournant de 2009, le journaliste le nomme : “la faute originelle de l’armée”.
Recrutés au sein de la population chrétienne du sud, mieux éduquée, majoritaire dans l’administration et aux postes clé du pays, les militaires “tiraient dans le tas” de façon indiscriminée.
Quand ils ont décimé un groupe de jeunes salafistes, la goutte d’eau a fait déborder le vase. La communauté musulmane, qui se sentait déjà exploitée et stigmatisée, s’est “précipitée dans les bras islamistes”.
Mais, selon lui, c’est la corruption qui “a surtout fait résonner la dialectique” de Boko Haram dans le nord du pays. Yusuf arguait que “l’application stricte de la charia”, la loi coranique, “signerait la fin de la corruption”.
“La démocratie est une hérésie, pour eux, c’est la source de la corruption du pays”, précise-t-il.
Yusuf, dont les prêches filmés, outils de propagande, circulaient en DVD, sur clé USB, sur internet, libres de droits, était “perçu comme un Che Guevarra salafiste”, souligne le réalisateur qui a travaillé auparavant sur le jihad en Syrie et au Mali. “La possession des films de ses prêches est interdite, mais ils circulent sous le manteau”, explique-t-il.
Xavier Muntz, qui a tourné 28 jours au Nigeria, a également recueilli les témoignages de civils rescapés des attaques de Boko Haram, issus des camps de Maiduguri où survivent plus d’un million de déplacés, gardés par l’armée.
Il s’est entretenu avec des responsables communautaires, et recueilli l’expertise d’observateurs locaux et internationaux en Allemagne, en France et en Angleterre.
Quand Boko Haram attaque un village, l’armée prévenue n’intervient généralement pas, ajoute-t-il, “jugeant que ce sont des affaires de musulmans”, rencherit-t-il.
D’autant que “les soldats se plaignent de ne pas être payés, et surtout de ne pas être réapprovisionnés en munitions”, rapporte-t-il. Beaucoup tremblent, “le chargeur vide”.
L’armée nigériane exsangue, est parmi les premières victimes des détournements de fonds siphonnés des dizaines d’années durant.
Les soldats “très tendus” ont vu d’un mauvais oeil qu’un journaliste étranger, caméra au poing, “travaille sans escorte militaire”.
Des membres de Médecins sans frontières sur le terrain lui ont conseillé de ne pas s’y promener seul et expliqué que des gens de Boko Haram “infiltraient les camps” usant de la “technique du cheval de Troie pour commettre des attentats”.
Il s’est donc “débrouillé pour payer des gens de la sécurité des camps” pour faire sortir des victimes de Boko Haram afin de les interroger à l’abri de son hôtel et réaliser sa série d’entretiens, très rapidement et à la fin de son séjour avant de prendre la poudre d’escampette “façon Ninja”, plaisante-t-il, pour ne pas se faire saisir ses films.