Le fermier Kemuel Samari sait qui est responsable de l’attaque de son village, de la mort de ses 21 voisins, de sa fuite avec pour seuls biens ce qu’il avait sur le dos, un jour de juillet dans le centre du Nigeria.
Par Chris STEIN
Il accuse les éleveurs nomades engagés avec les fermiers sédentaires dans un conflit ancestral qui a fait des milliers de morts dans cette région.
Il met aussi en cause le chef de l’Etat, sortant Muhammadu Buhari, dont la présidence a été marquée par une résurgence des violences pour le contrôle de l’accès aux terres et à l’eau.
“Nous avons souffert et nous continuons de souffrir à cause de ce gouvernement”, dit M. Samari, interrogé par l’AFP dans son village de Dowaya (Etat de l’Adamawa), en partie brûlé dans l’attaque de juillet.
Les Nigérians doivent élire ce samedi leur président – lors d’un scrutin reporté d’une semaine par la commission électorale. Et le chef de l’Etat sortant, Muhammadu Buhari, risque de payer le prix de son incapacité à trouver une solution à ce conflit long et sanglant dans les Etats du centre les plus touchés, prédisent des analystes.
M. Samari va voter pour son principal adversaire, l’opposant Atiku Abubakar. “Nous croyons que Atiku va apporter des changements”.
Dans cet Etat de l’Adamawa, les régions du nord sont ciblées par des attaques du groupe jihadiste Boko Haram.
Les régions du sud sont elles le théâtre de fréquents heurts entre fermiers et éleveurs. Des deux côtés, on espère que le prochain gouvernement saura y mettre fin.
– Heurts fréquents et sanglants-
“Il faut que le gouvernement s’implique”, assure Aliyu Nuhu, responsable d’une association d’éleveurs de Ngurore, une localité qui accueille une foire aux animaux. “Ce n’est pas bien de se battre ainsi comme des chiens.”
Avec 190 millions d’habitants, le Nigeria est le pays d’Afrique le plus peuplé, divisé quasiment à parts égales entre un Nord majoritairement musulman et un Sud essentiellement chrétien.
Les régions agricoles des Etats du centre du pays sont un peu plus mixtes que la moyenne, y compris ceux où les violences communautaires ont été terribles.
Les fermiers sédentaires étant essentiellement chrétiens et les éleveurs nomades musulmans, le conflit a souvent été exploité à des fins ethniques, religieuses, politiques.
Durant ces deux dernières années qui ont connu une flambée de violences, M. Buhari a été accusé de soutenir les éleveurs, des musulmans Fulani comme lui. M. Abubakar est également de cette ethnie, originaire de l’Adamawa.
Dans le village de fermiers de Dasso, les éleveurs accusent ces derniers d’avoir brûlé les champs après les moissons pour empêcher à leurs troupeaux de paitre.
“Ils essayent de prendre le contrôle de cette zone pour élever leurs vaches”, réplique Linus Gajere, un chasseur de Dasso.
Auparavant, le village était débordant d’activité, avec l’école d’une mission catholique. Ce n’est plus aujourd’hui qu’une succession de maisons éventrées. Depuis que des éleveurs l’ont attaqué en janvier, faisant 20 morts, les habitants ont fui.
– Se parler, pas se tuer –
La police et l’armée sont souvent absents des localités rurales comme celle-ci. La sécurité y incombe plutôt aux chasseurs traditionnels munis d’armes à feu de fortune, de lances, d’arcs et de flèches.
Récemment, un après-midi, ils se sont ainsi déployés dans les champs de Dasso pour les protéger des incursions des éleveurs. Un coup de feu a été tiré.
Face à eux, les éleveurs les accusent des mêmes atrocités.
Adamu Alkali, médiateur au sein de l’association des éleveurs de Ngurore, se souvient de cette nuit où il a été réveillé par des assaillants qui sont entrés dans sa maison, ont tué sa belle-soeur et son bébé, brûlé les corps.
“Le gouvernement peut régler ce problème”, assure-t-il lui aussi.
Depuis des décennies les dirigeants nigérians évoquent l’idée de formaliser des chemins de pâture ou de créer des fermes dédiées à l’élevage afin d’éviter ces heurts. Mais les gouvernements des Etats concernés s’y sont montrés hostiles.
Pendant sa campagne électorale, M. Buhari s’est engagé à mettre fin à ce conflit dans le cadre d’une politique globale visant à améliorer la sécurité dans le pays. M. Abubakar a lui aussi fait quelques promesses.
Mais avant de chercher une solution, il faudrait déjà qu’ils se parlent, relève Tog Gang de l’organisation humanitaire Mercy Corps.
Mais “comment imaginer régler ce problème quand les parties impliquées ne peuvent pas même vivre ensemble ?” s’interroge-t-il.
A Dowaya, l’amertume se palpe dans les squelettes des huttes détruites dans l’attaque de juillet. “Quand un éleveur vous voit, il vous abat comme un animal”, dit M. Samari. “Si l’on voit l’un d’eux, on le tue comme un animal. Cela a atteint ce niveau-là.”