Au Burundi, la contestation n’est plus seulement dans la rue, mais aussi à l’école : en choisissant de punir sévèrement des écoliers qui s’en sont pris à la fonction présidentielle, le pouvoir n’a fait qu’attiser le sentiment de révolte des jeunes.
Le scandale a éclaté fin mai, quand des griffonnages sur des photos du président contesté Pierre Nkurunziza dans des manuels scolaires ont été découverts, dans une école de la banlieue de Bujumbura.
Sur certains livres, les yeux du président avaient été troués. Dans d’autres, sa photo avait été gribouillée et des insultes écrites.
Dans un pays où le président, et sa candidature controversée à un troisième mandat en avril 2015, sont au cœur de la crise qui a fait plus de 500 morts et forcé à l’exil pas moins de 270.000 burundais, les gribouillages du portrait présidentiel ont fortement déplu au pouvoir qui a vigoureusement réagi.
Pour empêcher la propagation de ces actes d'”incivilité” à l’encontre du président, réélu en juillet 2015, le régime a choisi de sanctionner sévèrement les écoliers.
Des centaines d’élèves ont été renvoyés provisoirement de leurs écoles, puis pour certains réintégrés. A Muramvya (centre), 11 lycéens ont même été inculpés d’outrage au chef d’état et écroués le 3 juin.
Ce jour-là, deux élèves ont été blessés et un passant tué par balles, alors que la police, qui assure “avoir tiré en l’air”, dispersait une manifestation dénonçant ces arrestations.
“Les enquêtes déjà menées prouvent que ces comportements criminels sont dus aux manipulations politiques pour les uns et aux échecs scolaires pour les autres”, a dénoncé le porte-parole du ministère de la Sécurité publique, Pierre Nkurikiye, estimant qu’ils étaient “de nature à perturber la sécurité”.
– Pirate des Caraïbes –
Mais loin de couper court à ces gestes d’insoumission, la sévérité du gouvernement n’a fait qu’amplifier le mouvement, qui s’étend désormais à plusieurs régions.
Dans les quartiers nord de la capitale, plus de 3.000 élèves ont été sommés de remplacer les livres abîmés, sous peine de ne pas pouvoir passer les examens de fin d’année, selon le responsable local de l’enseignement.
Dans l’est du pays, quatre élèves ont été interpellés ces derniers jours et sont détenus dans un commissariat.
Le phénomène s’est également étendu aux réseaux sociaux, où les internautes rivalisent d’ingéniosité pour détourner le portrait du président Nkurunziza.
Sur certaines photos, il est grimé en “Pirate des Caraïbes”, bandeau noir sur l’œil droit, perroquet sur l’épaule et pipe à la bouche, ou en Roi-Soleil paré de tous ses atours.
Sur d’autres, il a les yeux troués. Ailleurs, un petit facétieux fait un jeu de mots en transformant son nom Nkurunziza (“Bonne nouvelle”, en Kirundi), en Nkurumbi (“Mauvaise nouvelle”). Un autre lui ajoute des cornes et des dents de vampire, et proclame: “Satan vit au Burundi”.
Cela a le don de faire enrager les soutiens du chef de l’Etat, qui vont jusqu’à accuser ces élèves de crime de “lèse-majesté”. Après Dieu vient le roi, or “aujourd’hui le roi du Burundi, c’est le président Nkurunziza!”, justifie le gouverneur de Muramvya, Emmanuel Niyungeko.
– Catastrophe nationale –
Certains parents dénoncent “l’arbitraire” de ces arrestations, car chaque école dispose d’à peine 20 à 30 livres que se partagent souvent plus de 200 élèves.
Les coupables sont donc difficiles à trouver, et les autorités n’hésitent pas à encourager la délation. Mais cette gestion de la crise ne convainc pas, y compris dans le camp présidentiel.
C’est “une vraie catastrophe nationale”, s’emporte un cadre du parti au pouvoir, sous couvert d’anonymat.
“A cause de cette répression, on parle aujourd’hui dans le monde entier de ces gribouillages qui font passer le président Nkurunziza pour un tyran impopulaire, alors qu’il est en réalité très populaire auprès de la grande majorité des Burundais”, regrette-t-il amèrement.
Une célèbre animatrice télé en exil, Alice Hakizimana, estime sur sa page Facebook que cette “répression aveugle” a transformé cette “histoire qui a commencé avec une poignée d’écoliers en un mouvement national de protestation”.
“Vous n’aurez jamais raison de l’humour et de la satire de nos gribouilleurs”, prophétise dans un tweet quelqu’un qui se cache sous le pseudonyme de “Sindumuja” (en français, “Je ne suis pas un esclave”), le nom de reconnaissance des opposants au troisième mandat.
AFP