Rien, ni la chaleur moite dans le delta du Niger, ni le soleil piquant du Sahel, ni le désordre d’organisation et ses longues heures d’attente, pas même les tirs de roquettes ou explosions n’ont découragé samedi les quelque 72 millions d’électeurs nigérians à voter pour élire leur président.
Par Sophie BOUILLON avec les correspondants de l’AFP
“C’est notre droit. Voter c’est notre droit. Et j’ai besoin d’exprimer mon vote”, s’emportait Daniel, dans un bureau de vote à Abuja, la capitale fédérale où les agents de la Commission électorale (INEC) n’étaient toujours pas arrivés à 8h00 (07H00 GMT), l’heure de l’ouverture prévue du scrutin.
“Nous resterons ici, jusqu’à ce qu’ils arrivent. Nous resterons jusqu’à ce que nous puissions exercer notre droit”, renchérit derrière lui Samuel.
Les électeurs devaient choisir parmi un nombre record de 73 candidats en lice pour prendre la tête de la première économie d’Afrique et premier exportateur de pétrole du continent, mais tous les regards sont rivés vers le président sortant Muhammadu Buhari, du Congrès des Progressistes (APC) et son rival, Atiku Abubakar du Parti Populaire Démocratique (PDP).
A Maiduguri, capitale de l’Etat du Borno, dans le nord-est du Nigéria, des dizaines de milliers de personnes ont déferlé vers les bureaux de vote en plein air, sans aucun isoloir, malgré des tirs de roquette lancés à l’aube, vraisemblablement par le groupe jihadiste Boko Haram pour perturber le vote.
Dans ce bastion du parti au pouvoir et berceau de Boko Haram où sont réfugiés des centaines de milliers de déplacés du conflit, l’extrême pauvreté est endémique, les taux d’alphabétisation très faibles. La promesse d’une vie meilleure – ou de quelques centaines de nairas, l’équivalent d’un ou deux dollars -, en échange d’un bulletin peut y donner envie de défier n’importe quelle menace d’insécurité.
– Résignation et frustration –
A des centaines de kilomètres plus au sud, dans la chaleur tropicale du delta du Niger et sous les nuages de pollution de pétrole raffiné, les électeurs de Port Harcourt (Etat de Rivers) ne se laissaient pas plus impressionner par les bâtons de dynamite lancés par des groupes criminels, souvent payés par les politiciens locaux.
“On a l’habitude de ce genre de choses”, confiait, Godspower Ekeate, entre deux bruits d’explosion. “On espère juste que ça ne va pas dégénérer en violences pendant le vote ou le comptage des bulletins”, a-t-il ajouté, avec une once de résignation.
A Lagos, capitale économique d’Afrique de l’Ouest et temple de la débrouillardise, le mot “résignation” ne fait pas partie du vocabulaire. La frustration, si.
Alors, face à la désorganisation généralisée de la Commission électorale, les électeurs bourraient eux-mêmes les kékés, ces triporteurs jaunes, d’urnes vides et de bulletins pour livrer les derniers bureaux de votes qui n’avaient toujours pas reçu leur matériel.
Devant un convoi de police, un “honorable” candidat local aux parlementaires distribuait des liasses de billets à la foule, faisant fi des déclarations des derniers jours du président et de la police pour interdire “l’achat des voix”.
– Boxe et foot –
Mais sous 40 degrés écrasants, quelques milliers de nairas n’ont pas suffi pas à calmer les esprits.
La colère et le chaos ont fini par l’emporter dans certains bureaux de vote à Lagos, transformés en rings de boxe, pendant que les enfants, indifférents aux problèmes des grands, profitaient de l’interdiction de circuler pour jouer au foot dans les rues.
A Daura, ville natale du président dans l’extrême nord musulman, les électeurs faisaient la queue, rangés et dans le calme, hommes d’un côté, femmes de l’autre. Vêtue d’un long hijab, Hannatu Audu Kallo, 80 ans, attendait son tour, bien droite, pour mettre son bulletin dans l’urne.
“Je suis sortie voter parce que je veux élire un bon dirigeant”, raconte la vieille dame. “Je veux un futur meilleur pour mes petits enfants. Il ne me reste pas beaucoup de temps sur cette terre, mais je m’inquiète pour mes petits enfants”.
Il restait encore beaucoup de problèmes d’organisation à régler à la mi-journée. Mais, comme ont souligné à l’unisson le président et son opposant à la sortie des urnes : “Jusqu’ici tout va bien”.