Centrafrique: guerre au sommet d’un pays miné par la violence

Le président de la Centrafrique, Faustin-Archange Touadéra, à Pretoria en Afrique du sud, le 5 avril 2017 | AFP/Archives | PHILL MAGAKOE

La Centrafrique, minée par la violence, est menacée dans sa reconstruction par des tensions au sommet de l’Etat entre le président de la République et celui de l’Assemblée nationale, le camp du premier ayant été jusqu’à accuser samedi le second de tentative de coup d’Etat avant de se rétracter.

Par Christian PANIKA

Début 2016, l’élection du président Faustin-Archange Touadéra, sous l’égide de la France et des Nations unies, avait représenté une lueur d’espoir après le déchaînement des violences en 2013 dans ce pays pauvre de 4,5 millions d’habitants.

A la tête de l’Assemblée nationale, Abdoul Karim Meckassoua, un élu du PK5, le quartier musulman de Bangui, apparaissait comme un symbole de réconciliation après le déferlement de haine entre rebelles Séléka promusulmans et anti-Balaka prochrétiens.

Mais dans ce pays où l’Etat peine à exercer son autorité au-delà de la capitale, Bangui, les relations entre les deux hommes n’ont cessé de se dégrader jusqu’à une rumeur de coup d’Etat samedi.

“Nous assistons à des infiltrations de mercenaires à Bangui et ses environs”, avait déclaré à la radio d’Etat un proche du président Touadéra, Didacien Kossimatchi, assurant qu’une dizaine d’entre eux, interpellés, avaient affirmé être là pour “tuer le président de la République” pour le compte de M. Meckassoua.

“Les accusations portées sont extrêmement graves”, a répondu à l’AFP le premier vice-président de l’Assemblée, Aurélien Simplice Zingas.

“Il se trouve que des personnes non autorisées s’arrogent le droit de parler en lieu et place de l’exécutif, qui n’a rien à voir avec ces supputations”, avait voulu conclure dimanche à la radio d’Etat le porte-parole du gouvernement, Albert Yaloké Mokpem.

L’animosité entre MM. Touadéra et Meckassoua, l’un de ses rivaux à la présidentielle de 2016, n’a pas diminué depuis le scrutin.

Les deux hommes sont tous deux d’anciens ministres influents de l’ex-président François Bozizé – Touadéra a été son Premier ministre entre 2008 et 2013 et Meckassoua ministre d’Etat entre 2003 et 2013.

“Le président Touadéra a pensé mettre de son côté Meckassoua en l’appuyant pour le perchoir. Mais c’était sans compter les déceptions que Meckassoua a vécues sous le régime Bozizé”, affirme à l’AFP un autre ancien candidat à la présidentielle.

“S’il y a quelqu’un qui maîtrise les réalités et les crimes économiques ou de sang du régime Bozizé, dont Touadéra fut un des principaux acteurs, c’est bien Meckassoua. C’est une sorte de témoin gênant”, déclare à l’AFP un proche du président de l’Assemblée nationale.

– “Crise dans la crise” –

“Touadéra n’a pas compris ça, il s’est fait piéger et tente de réparer cette erreur politique”, explique un proche du président de la République, qui préfère, comme beaucoup à Bangui, évoquer cette affaire sous couvert de l’anonymat.

“Il faut se rendre à l’évidence, cela constitue une sorte de crise dans la crise”, déclare à l’AFP l’opposant Joseph Bendounga, président du Mouvement démocratique pour l’évolution et la renaissance de Centrafrique (MDREC).

Nombreux sont les signes de tensions exécutif/législatif: le Premier ministre de M. Touadéra, Mathieu Simplice Sarandji, ne s’est présenté que deux fois devant les parlementaires depuis 2016, suscitant leur colère. En mai, ils ont brandi la menace d’une motion de censure.

La transparence dans l’attribution des contrats miniers a aussi avivé les querelles dans ce pays riche en or et diamants. Le président de l’Assemblée a ainsi saisi – avec succès – la Cour constitutionnelle pour que l’attribution des marchés soient soumis à l’approbation des députés et non à la signature des ministres.

“Cette situation est de nature à renforcer un système que les Centrafricains ne connaissent que trop bien: la menace structurelle de coup d’Etat”, analyse la spécialiste de la Centrafrique à l’ONG américaine Enough Project, Nathalia Dukhan.

“Ces affaires du bac à sable banguissois montrent que le régime actuel est encore très loin d’être à la mesure des défis de stabilisation, reconstruction et réconciliation de la Centrafrique”, ajoute Thierry Vircoulon, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Depuis plusieurs mois, la Centrafrique est en proie à un regain de violences, dans le centre (Bangassou en mai, Bria en juin, Kaga-Bandoro en juillet), et dans l’est (Zemio en juin).

La Centrafrique, qui a basculé dans les massacres de masse en 2013 avec le renversement du président Bozizé par l’ex-Séléka, entraînant une contre-offensive des anti-Balaka, bénéficie d’un retour au calme dans Bangui après l’intervention de la France (2013-2016) et des Nations unies. Mais les groupes armés menacent toujours les civils dans l’intérieur du pays.

Source: AFP