A l’occasion du cinquantenaire du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), le président du comité d’organisation, Yacouba Traore, revient sur l’histoire de cette manifestation unique.
Par David ESNAULT
Journaliste, écrivain, animateur d’une émission populaire sur le cinéma à la télévision burkinabè dans les années 1990, M. Traore estime que “le Fespaco a besoin de rebondir”.
– Comment est né le Fespaco ?
Yacouba Traore : Le premier Fespaco était un petit festival, organisé par un groupe d’amis au centre culturel franco-voltaïque de Ouagadougou. Ca s’appelait “Semaine du cinéma africain”.
Les pionniers, dont Claude Prieux, le directeur du centre culturel, se sont posés une question simple : pourquoi sur nos écrans, il n’y a pas de films africains, alors qu’il existe des réalisateurs africains ?
Il fallait un cadre pour promouvoir le cinéma africain, pour qu’il y ait enfin “des images de l’Afrique par l’Afrique et pour l’Afrique”, selon une formule historique. Mais au début presque personne n’y croyait.
Le général Aboubacar Sangoulé Lamizana (président de la Haute-Volta, futur Burkina Faso, de 1966 à 1980), y a cru. Il était cinéphile, il s’était même acheté une caméra.
Il a soutenu le festival, qui a été un succès avec 10.000 spectateurs. Et il a ensuite fait appel à Ousmane Sembene (le grand écrivain et cinéaste sénégalais) pour construire une vraie filière cinématographique.
– Les années 1970 et 1980 sont celles de l’affirmation et de l’apogée du Fespaco…
En 1970, le général Lamizana nationalise les salles de cinéma, pour permettre à tout le peuple de pouvoir y aller, et d’y voir des films africains. Il s’agit de “décoloniser les écrans”, “d’éveiller les consciences noires”.
Ousmane Sembene fait ce reproche à Jean Rouch (célèbre ethnographe et cinéaste français) : “Tu nous regardes comme des insectes”.
Le Fespaco est une réaction aux films ethnographiques, il a une dimension militante. “Le Fespaco nous permet de briller”, dit Ousmane Sembene.
– “Le cinéma, c’est sacré” –
Dans les années 70, le Fespaco se transforme en un grand festival. En même temps, des structures sont mises en place comme le Consortium Inter-Africain de Distribution Cinématographique et le Centre Inter-africain de Production de Films (CIPROFILMS) (actifs de 1979 à 1985, NDLR).
Ainsi qu’une école de formation avec l’Institut Africain d’Education Cinématographique (1977 – 1987).
Le cinéma burkinabè est un paradoxe. Le Burkina est un des pays les plus pauvres d’Afrique, et il porte le cinéma africain.
– Thomas Sankara va s’engager pour le Fespaco…
Oui, il y a une montée en puissance pendant la “période révolutionnaire” (la présidence de Thomas Sankara 1983-87). C’est Sankara qui donne vraiment une dimension internationale au Fespaco en y invitant la diaspora africaine.
En 1987, on compte 400.000 festivaliers, un record.
Sous Sankara, l’Etat burkinabè soutient financièrement le cinéma, et il oblige même les banques privées à financer des films !
– Puis vient une période de déclin avec les années 1990
La politique change dans les années 1990, l’Etat se désengage de la culture, sous l’influence notamment de la politique d’ajustement structurel prônée par le FMI. Les salles ferment. On a touché le fond.
– Voyez-vous aujourd’hui un renouveau avec les outils numériques apparus depuis les années 2000 ?
Certainement, les outils numériques démocratisent l’accès au cinéma. On sent un rajeunissement du cinéma africain. C’était d’ailleurs le souci des pionniers de susciter des nouvelles vocations.
Je vois surtout une montée en puissance des femmes, avec par exemple Apolline Traoré (réalisatrice burkinabè de “Frontières” en 2017, et qui présente “Desrances” au Fespaco cette année).
Mais attention, dans les films de la jeune génération, il y a beaucoup de navets ! Le cinéma c’est une technique, l’image c’est une grammaire. Il faut savoir raconter une histoire, la construire, la monter. Tout cela s’apprend. Il faut absolument mettre l’accent sur la formation.
Comme disait Ousmane Sembene, “le cinéma, c’est sacré !”.
Après le Fespaco de combat des débuts, il faut qu’on soit plus professionnels. Le Fespaco a besoin de rebondir.
Source: AFP