Pour le journaliste ghanéen Anas Aremeyaw Anas, qui a réalisé le documentaire Number 12, et déjà fait tomber le président de la fédération de football de son pays pour des soupçons de corruption, “dissimuler son nom et son identité est l’option ultime” pour pouvoir réaliser des enquêtes.
Il reçoit l’AFP, habillé comme à son habitude: une longue tunique à capuche, et le visage recouvert d’un long voile de perles rouges et blanches.
Personne, ou presque, ne sait qui est ‘Anas’ et pourtant il est considéré dans son pays comme le “super-héro anti-corruption” qui s’est donné pour mission de sauver l’Afrique de ces pratiques “meurtrières”. “Personne ne le fera pour nous”, aime-t-il à répéter.
“Comment se fait-il que l’Afrique ne parvienne jamais à arriver en phase finale des Coupes du Monde alors que nos joueurs sont parmi les meilleurs?”, s’interroge-t-il. “Savons nous combien de talents ont été gaspillés ou combien de joueurs arrivent à percer parce qu’ils ont payé?”
– Liasses de billets –
Dans son film, Anas et des journalistes de son équipe ont piégé des dizaines d’arbitres du championnat ghanéen ou des grands championnats du continent, ainsi que le président de la Fédération nationale, en leur proposant des “cadeaux” amicaux. Autrement dit: des liasses de billets.
Le journaliste pourtant, avoue de but en blanc que le football ne l’intéresse pas et ne l’a jamais intéressé. Il reste toutefois très marqué par la tragédie du stade d’Accra le 9 mai 2001, où 127 personnes avaient trouvé la mort, écrasées ou asphyxiées lors d’un match, suite à une bousculade causée par une mauvaise décision de l’arbitre entre les Hearts d’Accra et l’équipe de Kumasi, les Asanté Kotoko.
C’est d’ailleurs sur ce même derby que le documentaire Number 12 s’ouvre, Anas ayant piégé les arbitres de la rencontre. Le match se soldera une fois encore par une victoire par penalty des Hearts. Un an plus tard, avec la diffusion du film d’investigation, le Ghana a des pistes de réponses sur ce score à l’époque surprenant.
Les pratiques d’enquête du journaliste soulèvent de nombreuses critiques, même si la vaste majorité de la population le soutient. Anas ne filme pas une situation de corruption en caméra cachée, il la met en scène. Ses proies cèdent à la tentation créée par le journaliste.
En 2015, il avait utilisé les mêmes procédés pour mettre à jour la corruption généralisée dans le système judiciaire de son pays et depuis une vingtaine de juges et de magistrats ont été limogés. Ses pratiques ont probablement influencé des décisions judiciaires, ou dans le cas de Number 12, des résultats sportifs.
– ‘Attaque frontale’ –
Mais le journaliste a “la peau dure” et se défend avec entrain aux critiques sur son éthique professionnelle: “Si vous êtes un criminel, vous êtes un criminel”, assène-t-il. “Moi je crois à l’attaque frontale, pas aux bons sentiments.”
“Vous ne pouvez pas dire que vous avez été piégés alors que vous saviez pertinemment ce qui allait se passer quand vous acceptez le rendez-vous, que vous avez accepté de l’argent pour commettre un crime”.
Ses enquêtes l’ont porté auparavant dans des orphelinats ou des hôpitaux psychiatriques, où il a dénoncé également des pratiques de corruption. “Chaque minute, sur notre continent, des bébés meurent parce que quelqu’un a privé leur village de l’argent qui leur revient.”
Ce n’est pas la corruption dans le football qu’Anas veut démanteler, c’est la corruption dans son ensemble: “Le football est un outil très puissant pour raconter l’histoire de l’Afrique et des Africains (…). Mais Number 12 doit être abordé dans une perspective globale.”
“Je suis certain que désormais tout arbitre à qui quelqu’un proposera un pot-de-vin va y réfléchir à deux fois avant de l’accepter”, se targue-t-il.
Les répercussions de Number 12 ont été immédiates: en moins d’une semaine, le président de la fédération ghanéenne du football (GFA) a démissionné de ses fonctions, et un arbitre kényan pris la main dans le sac s’est retiré de la Coupe du Monde de Russie où il devait travailler comme assistant.
“Couvrir ces gens de honte est la meilleure manière (de les punir)”, conclut Anas. “Les mettre derrière les barreaux est un plus.”