Ennerdale, une banlieue de pavillons de brique ocre ou rouge qui déborde du township de Soweto, au sud-ouest de Johannesburg. L’apparence est modeste, mais décente. Le dénuement et la misère ne se révèlent qu’une fois la porte franchie.
Peu de meubles, l’eau et l’électricité sont rares et les ordures plus ramassées depuis bien longtemps. Alors, derrière les murs où ils s’entassent souvent à plus d’une dizaine dans une seule pièce, la colère des 17.000 habitants bout.
Au début du mois, elle a débordé dans la rue. Barrages de pneus enflammés, affrontements avec la police, magasins pillés… Ennerdale s’est embrasée et, avec elle, d’autres quartiers pauvres de la plus grande ville d’Afrique du Sud.
Dans le pays, ces brusques flambées de violence urbaine, désignées sous le nom d'”émeutes pour l’amélioration des services publics”, sont quotidiennes ou presque.
Un quart de siècle après la chute de l’apartheid, elles soulignent les inquiétantes faillites de la “nation arc-en-ciel”.
Celine Brown est née il y a vingt-et-un ans dans cette maison d’Ennerdale. Une grille en fer, un jardin en terre puis une pièce sombre au sol cimenté, glaciale en ce début d’hiver austral. Et dans l’arrière-cour, une cabane en bois
“Regardez dans quoi on vit”, décrit la jeune femme. “On est à dix dans cette pièce, et neuf dans la cabane construite derrière dans la cour. On est tous de la même famille”.
– “Inhumain” –
Père, mère, frère, fille, petits-enfants ou cousins, trois générations s’entassent tant bien que mal dans la propriété, sans eau potable ni éclairage. Sans emploi non plus d’ailleurs.
“On a essayé de demander un logement social. On attend depuis trois ans”, déplore Celine Brown, fataliste. “Peut-être qu’ils ne nous entendent pas. Peut-être qu’ils ne comprennent pas notre situation parce qu’ils ont de meilleurs vies”.
Quelques rues plus loin, même dénuement. “Y a pas de toilettes, vous voyez. On s’assied sur le seau à l’intérieur et on va le vider là”, tempête Valerie Mabimbeli, 64 ans, en montrant la décharge qui lui sert de jardin. “On veut de vraies maisons”.
“On ne peut pas vivre trente ans sans toilettes, sans eau, sans électricité (…) c’est injuste et inhumain”, renchérit Marge Cass.
“S’il n’y a pas de travail, s’il n’y a pas de logement, nos enfants ne se lèveront plus en se disant +je veux trouver un travail+ ou +je veux aller à l’école+”, ajoute la porte-parole des résidents d’Ennerdale, “c’est la porte ouverte à la criminalité”.
Avec un taux de chômage de plus de 25% et une croissance au ralenti, le logement est un des symptômes du mal qui ronge l’économie sud-africaine depuis la crise financière de 2008.
Ennerdale n’a pas vu de maisons neuves depuis trente ans. Au pouvoir depuis 1994, le Congrès national africain (ANC) a pourtant fait des progrès spectaculaires en matière d’infrastructures. Mais le récent déclin économique en a effacé une partie.
-“Bombe à retardement”-
Aujourd’hui, 13% des 55 millions de Sud-Africains vivent encore dans des logements miséreux, confirment les statistiques.
Le vice-président Cyril Ramaphosa a récemment reconnu l’ampleur du problème. “Bien que l’Afrique du Sud soit plus prospère (…) nous n’avons pas créé assez de richesses et d’emplois pour vaincre la pauvreté et le chômage”.
Mis en cause par les résidents des townships, son gouvernement a reconnu l’urgence de la situation et promis d’y remédier.
“Les questions que vous posez sont réelles, nous sommes inquiets”, leur a lancé la ministre du Logement Lindiwe Sisulu, “nous ne sommes pas insensibles à vos problèmes”.
Souvent métis – ils sont près de 5 millions en Afrique du Sud – les habitants de certains de ces townships en colère en doutent. Et accusent le gouvernement de discrimination.
“Dans ces quartiers, la drogue et la criminalité sont plus répandus, parce que le gouvernement ne les a pas autant économiquement aidés que les quartiers noirs”, déplore Jerome Lottering, un des meneurs de la révolte du quartier d’Eldorado Park.
“Nous sommes assis sur une bombe à retardement”, menace-t-il, “si rien n’est fait rapidement (…) ce pays va exploser”.
Experte au Centre d’analyse du risque (CRA), Gabriela Mackay ne croit pas à l’explication raciale. “Ce n’est pas un problème de race, c’est plutôt que les gens qui ne voient pas leurs espoirs se réaliser blâment quelqu’un d’autre”, dit-elle.
Mais la chercheuse redoute aussi cette rage. “Les gens pensent que leur vote ne compte pas, alors ils descendent dans la rue, brûlent et détruisent pour qu’on les écoute”.
Devant la maisonnette décrépite de sa soeur, Marge Cass n’espère rien des élections générales de 2019. Quelle qu’en soit l’issue. Elle en sûre, d’autres émeutes sont à venir.
“On est citoyens ici, on vote ici mais rien ne change”, enrage-t-elle, “que peut-on faire d’autre ?”
Source: AFP
« On est citoyens ici, on vote ici mais rien ne change », enrage-t-elle, « que peut-on faire d’autre ? » Ce cri résume le problème de l’Afrique et de la pauvreté. Avec un taux de chômage de 20% , ce problème prendra longtemps à résoudre.