Les opposants à l’avortement en Amérique rêvent de terrasser leur ennemi juré, “Roe v. Wade”, la décision de justice qui consacre le droit des femmes à l’IVG. Mais, même en comptant sur Donald Trump, ce combat sera ardu.
Par Sébastien BLANC
En défilant par milliers vendredi à Washington, les militants “pro-life” confiaient nourrir de nouveaux espoirs de casser cet arrêt emblématique de la Cour suprême, qui a légalisé l’avortement dans tous les Etats-Unis il y a 44 ans.
Le jugement choc était tombé le 22 janvier 1973. A la majorité de sept juges contre deux, la haute cour avait défini un cadre limité dans lequel, en vertu de son droit à l’intimité, une femme pouvait légalement mettre fin à une grossesse.
“Roe versus Wade” (“Roe contre Wade”) marqua l’épilogue d’une procédure judiciaire entamée trois ans plus tôt au Texas.
Enceinte pour la troisième fois, Norma McCorvey, une mère célibataire fragilisée par une enfance difficile, avait souhaité avorter. Le grand Etat du Sud ne le permettait alors qu’en cas de danger pour la mère ou l’enfant.
Mme McCorvey, conseillée par deux avocates féministes, avait alors saisi la justice, sous le pseudonyme de Jane Roe, se retrouvant opposée au procureur de Dallas, Henry Wade. Son enfant était né, mais l’affaire avait suivi son cours jusqu’à la plus importante juridiction américaine.
Ironie de l’histoire, Norma McCorvey est par la suite devenue une fervente opposante à l’avortement, s’étant convertie au protestantisme évangélique puis à la foi catholique. Sur un autre plan, elle a revendiqué être homosexuelle, avant d’opérer un revirement.
– Assauts répétés contre “Roe” –
Tout comme elle, “Roe V. Wade” a eu une existence chahutée, voyant sa portée diminuée par des décisions postérieures de la Cour suprême.
L’apport principal de l’arrêt a toutefois survécu, jouant son rôle de garde-fou tandis que le droit à l’avortement subissait les assauts des législateurs dans les Etats à majorité républicaine.
La victoire électorale de Donald Trump a changé la donne. La Maison Blanche et le Congrès sont désormais contrôlés par des opposants à l’avortement, le vice-président Mike Pence évoquant vendredi un tournant “historique”.
M. Trump nommera mardi un juge anti-avortement au neuvième siège vacant de la Cour suprême, y installant un nouveau rapport de force: quatre juges progressistes face à cinq juges conservateurs dont l’un, Anthony Kennedy, rejoint parfois les progressistes sur les questions d’avortement. Si M. Trump se retrouvait à nommer un autre juge sous son mandat, l’équilibre serait rompu.
“Le droit à l’avortement des femmes court désormais un grave danger, étant donné les intentions de Trump et la probabilité qu’au moins un autre juge se retirera de la Cour suprême dans ces quatre prochaines années”, souligne Sherry Colb, une spécialiste de la question à la Cornell Law School.
“Si au moins un juge parmi les cinq considérés favorables à l’avortement quittait ses fonctions”, prévient-elle, “alors Roe v. Wade pourrait être annulé par cinq votes”.
– “Grave danger” –
Dans cette hypothèse, le Etats seraient libres de restreindre le droit à l’avortement et un Congrès républicain pourrait adopter une grande législation nationale anti-IVG.
“Les plus graves conséquences seraient supportées par les femmes pauvres dépourvues de moyens pour voyager où l’avortement est légal”, avertit Mme Colb.
Aux Etats-Unis les restrictions à l’avortement prennent de multiples formes: interdiction de certaines méthodes médicales, délais d’attente rallongés imposés aux femmes, complications administratives visant les médecins avorteurs, octroi de la personnalité juridique au foetus, etc.
Dans une étude publiée ce mois-ci par l’institut Pew, sept Américains sur 10 se disent opposés à une annulation de Roe V. Wade. Et selon un sondage Quinnipiac publié vendredi, 64% des Américains pensent que l’avortement devrait rester légal, 31% estimant le contraire.
Michael Dell, un juriste expert de la question, estime qu’il sera difficile de renverser “Roe v. Wade”, solidement ancré dans la doctrine juridique par quatre décennies d’application.
“Même si Trump parvenait à nommer deux ou trois juges à la Cour suprême, la règle du précédent (respect de la jurisprudence établie, NDLR) rendra improbable l’éventualité que la Cour suprême annule totalement Roe v. Wade”, souligne-t-il. “Mais le droit constitutionnel à l’avortement sera considérablement réduit”.
Source: AFP