Quatre sénateurs haïtiens d’opposition ont saccagé jeudi matin leur salle de séance à Port-au-Prince: ce geste symbolique, qui paralyse encore l’installation du nouveau gouvernement, sert à empêcher pour une troisième fois la ratification de la politique générale du Premier ministre.
Destinées à chaque élu, les larges chaises en velours rouge avaient été rassemblées en vrac sur la cour du parlement. Comme ce mobilier partiellement brisé, le matériel de sonorisation de la salle absorbait lentement la pluie, fine mais persistante.
Les rares membres du personnel parlementaire présents ont multiplié les photos des dégâts, enchaînant notamment les selfies devant les lourds bureaux jetés au sol de la salle de séance.
Tranquillement assis à l’extérieur à quelques mètres de l’amas de meubles, les sénateurs de l’opposition ont pleinement assumé leur acte.
“Combien de personnes sont tuées dans les rues et c’est une chaise brisée qui leur fait mal? Combien de policiers tombent?” a questionné le sénateur Antonio Chéramy, évoquant l’insécurité grandissante à travers le pays.
Depuis le début de l’année, 20 policiers ont été tués et plus de 100 citoyens ont perdu la vie de façon violente, par balles ou armes blanches, selon le décompte d’organisations de défense des droits humains qui s’inquiètent de l’étalement des zones sous contrôle de gangs armés.
Les élus détracteurs du président Jovenel Moïse s’opposent à la reconduction de huit ministres de l’ancien gouvernement sans qu’ils n’aient obtenu d’attestation de bonne gestion des fonds publics.
Le sénateur Ricard Pierre, qui revendique l’acte, considère que “le problème de la crise ne va pas se résoudre en violant la constitution, en mettant en place des ministres hors-la-loi”.
Par deux fois déjà en mai, ces élus avaient empêché la présentation de la politique générale du Premier ministre en déambulant dans la salle de séance, mégaphones en main.
Jeudi, quelques dizaines de manifestants sont venus signaler leur solidarité avec les sénateurs de l’opposition. Des heurts ont éclaté avec les forces de l’ordre qui ont fait un large usage de grenades lacrymogènes pour disperser la foule, tirant également plusieurs fois en l’air à balles réelles.
Absent des lieux, le nouveau Premier ministre Jean-Michel Lapin a été nommé début avril par le président Jovenel Moïse suite au vote de sanction adressé mi-mars par les députés au précédent gouvernement dirigé par Jean-Henry Céant, fragilisé par des manifestations qui avaient fait plusieurs morts.
Alors que 60% de la population haïtienne vit sous le seuil de pauvreté, la lenteur de ce processus politique constitue un frein aux investissements et pénalise également les programmes d’aides au développement.
L’installation d’un nouveau gouvernement est en effet un prérequis du Fond monétaire international pour le décaissement d’une première tranche d’aide dans le cadre du prêt de 229 millions de dollars octroyé début mars à Haïti pour les trois années à venir.