Les Béninois votaient dimanche dans le calme et sans engouement pour élire leur président, dans un scrutin verrouillé, où le chef de l’Etat Patrice Talon sera “seul face à lui-même”, selon l’opposition.
Par Camille Malplat / Avec Josue Mehouenou à Natitingou et Yanick Folly à Savè
Ex-magnat du coton, M. Talon, qui brigue un second mandat, fait face à deux candidats quasiment inconnus du public, les anciens députés Alassane Soumanou et Corentin Kohoué. Il a assuré qu’il gagnerait ce scrutin “par KO”, sans second tour.
La campagne électorale a été marquée par des violences, notamment dans le centre-nord du pays, fief de l’ancien président Thomas Boni Yayi, où des manifestants avaient dressé d’importants barrages routiers.
“Il faut éduquer les uns et les autres pour que les frustrations ne donnent pas forcément lieu a des violences”, a déclaré M. Talon (62 ans) alors qu’il votait dimanche dans un bureau de vote de Cotonou, en chemise saharienne et pantalon beige.
Selon lui, les manifestants, “des jeunes, des enfants, des chasseurs” ont été “manipulés” pour attaquer la République et les forces de l’ordre ont su répondre “avec beaucoup de compétence et d’expertise” malgré la répression musclée et parfois sanglante des derniers jours qui a fait au moins deux morts par balle.
Dans les rues de Cotonou, la capitale économique, l’ambiance était calme dimanche matin lorsque les premiers électeurs se sont rendus aux urnes mais beaucoup craignaient de potentielles violences lors des dépouillements à la fin de journée ou à l’annonce des résultats, prévus lundi ou mardi.
Sur les radios locales, des chansons passaient en boucle pour appeler à des élections apaisées. “La violence est l’arme des faibles. Elle conduit à la guerre et à la misère”, chantait une voix chaude accompagnée par des choristes sur une mélodie dansante.
“J’ai accompli mon devoir citoyen ce matin”, raconte de son côté à l’AFP Abib Mohammed, agent de la mairie, montrant son pouce taché d’encre bleue.
“Je pense que l’élection va bien se passer aujourd’hui malgré le petit soulèvement qu’il y a eu dans le nord”, assure-t-il depuis le bureau de vote de l’école primaire Zongo.
Petit pays d’Afrique de l’ouest, le Bénin a été un pionnier de la démocratie dans la région, mais a pris un virage autoritaire sous la présidence de Patrice Talon.
– Savè, ville fantôme –
Les 15.531 bureaux de vote ont commencé à ouvrir dimanche à 7 heures du matin (06H00 GMT) et fermeront à 16 heures (15H00 GMT) mais Savè, dans le centre- nord du pays, où des manifestations réprimées ont fait deux morts cette semaine, ressemblait à une ville fantôme.
Sur quatre bureaux de vote visités par un journaliste de l’AFP aucun n’avait ouvert à 9 heures, et aucun matériel électoral n’avait été déployé, pendant que les forces de sécurité et les militaires effectuaient des rondes.
Dans le nord du pays, la plupart des bureaux de vote étaient sous la protection d’un ou deux soldats et à Natitingou, la capitale régionale, l’affluence était extrêmement faible dès le matin, avec une poignée d’électeurs dans les bureaux.
“Les gens sortent au compte-gouttes ce matin” mais “l’affluence sera plus forte à la sortie des cultes de la matinée”, assurait Jérôme T. Nagnini, représentant du duo de candidats représentant l’opposition.
“Moi j’ai voté pour le président Talon à cause des routes et de l’électricité”, explique Gerald Kpamegan, 47 ans, mais cet hôtelier ne pense pas que “beaucoup de gens iront voter”.
– Boycott –
Le taux de participation devrait en effet rester faible, les plus grandes figures de l’opposition locale ayant appelé au boycott du scrutin.
“Je ne voterai pas”, a déclaré Joel Aïvo, dans un message publié samedi soir sur les réseaux sociaux. “J’invite tous les Béninois (…) à faire de même.”
“Le président a choisi d’être seul face à lui même dans cette élection inédite depuis le renouveau démocratique”, ont écrit plusieurs représentants du FRD (Front pour la restauration de la démocratie).
“On est inquiets”, confiait de son côté Mama Salessou, commerçant de 51 ans devant un bureau de vote de Cotonou, faisant référence à ce “qui s’est passé dans le nord”.
Le chef de la mission d’observation électorale de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) au Bénin, l’ancien président de Sierra Leone Ernest Bai Koroma a déclaré que “le processus suit son cours et tout se passe bien pour l’instant”.
“Il est trop tôt pour commenter sur la participation”, a-t-il ajouté.
La plupart des opposants sont soit en exil à l’étranger, soit condamnés par la justice, ou incarcérés soit empêchés de se présenter du fait du nouveau Code électoral et d’une réforme institutionnelle.
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