A chaque commémoration, les rescapés du génocide de 1994 au Rwanda voient rejaillir dans leurs souvenirs des images qui les hantent. Mais cette triste période est aussi difficile à vivre pour la génération qui n’a pas connu le drame.
Par Cyril BELAUD
De jeunes Rwandais, nés pendant le génocide ou peu après, évoquent avec une extrême pudeur pour l’AFP le poids pesant sur leurs épaules au regard d’un événement qui a bouleversé leur vie et la responsabilité qui leur incombe pour garantir qu’il ne se répétera pas.
“C’est un souvenir douloureux et pour la plupart des familles au Rwanda, le meilleur moyen de s’en accommoder, c’est juste de le rejeter dans le passé. Mais ce n’est pas facile à faire”, observe Bruce Muringira, 24 ans, étudiant et collaborateur d’une agence publicitaire à Kigali.
“Pour nous qui avons grandi après les événements, les gens pourraient penser que ça ne nous affecte pas. Mais je pense que ce n’est pas vrai, car quand vous arrivez à un âge où vous vous posez des questions, que vous ne voyez pas vos parents, vos grands-parents, des proches, quand vous apprenez comment ils sont morts, et pourquoi, ça laisse des traces sur nous aussi”, estime-t-il.
“Quand j’ai commencé à comprendre mon histoire personnelle, au début c’était dur. Je suis passé par plein de moments d’incertitude, de confusion et de questionnement”, avoue-t-il, sans plus s’étendre sur ce qui est arrivé à sa famille.
D’apparence dégingandée et fragile, Jean-Paul Haguma, 26 ans, est encore plus réservé, et refuse d’évoquer directement le génocide et ses conséquences sur ses proches ou lui-même.
“La commémoration est un moment difficile”, consent juste à dire cet étudiant. “On revoit les images de ce qui s’est passé, certaines personnes sont traumatisées. Ca fait partie de l’histoire, de notre vécu, nous ne pouvons rien y changer, mais c’est très douloureux”.
– Une ‘jeunesse créative’ –
L’un et l’autre regrettent que la perception du Rwanda à l’étranger reste réduite au génocide. Que les gens oublient ce que leur pays a accompli depuis en terme de pacification, de réconciliation et de réussite économique.
Ils se sentent aussi la responsabilité de contribuer à la reconstruction d’un pays où 60% de la population a moins de 25 ans et est trop jeune pour avoir vécu le génocide.
“Au Rwanda, les jeunes ont beaucoup de responsabilités (…) Une de ces responsabilités, c’est d’abord de s’autosuffire, ensuite d’aider au développement des autres et de mettre en œuvre, avec toute notre énergie et notre volonté, certains programmes du gouvernement”, approuve Diane Mushimiyimana, 23 ans, une étudiante également.
“La jeunesse devrait se montrer très créative en toute chose pour que nous puissions servir d’exemple aux plus jeunes. Pour que, lorsque nous serons aux commandes du pays, les enfants qui grandissent aujourd’hui soient capables de nous relayer dans les missions dévolues aux jeunes, et que nous puissions ainsi atteindre les objectifs inscrits dans le Plan national”, ajoute-t-elle, donnant l’impression de réciter le parfait bréviaire gouvernemental.
Dès son plus jeune âge, cette génération post-génocide s’est vu inculquer le concept de “rwandanité”. Elle a appris comment les divisions ethniques avaient conduit au drame. Cette préoccupation revient souvent dans le discours de ces jeunes.
“Mon rêve, c’est d’abord et avant tout que nous soyons capables de dépasser ce qui est arrivé”, confie Bruce, avec recul. “Je ne parle pas de l’oublier, car quand vous oubliez votre propre histoire, vous courrez le risque qu’elle se répète. Mais ce que je dis, c’est que même si nous avons beaucoup avancé, il y a encore beaucoup de choses qui restent associées à ce qui s’est passé.”
– ‘Un endroit meilleur’ –
“Mon espoir, c’est que nous trouvions un moyen de dépasser ça, d’être capables de nous voir avant tout comme Rwandais, pas comme une tribu ou une autre, pas comme des victimes ou des tueurs”, ajoute-t-il.
Emmanuel Habumugisha est né le 14 mai 1994, au milieu d’un génocide qui a coûté entre avril et juillet la vie à au moins 800.000 personnes, selon l’ONU, essentiellement au sein de la minorité tutsi. Il a perdu son père. Cet étudiant espère que l’exemple rwandais servira aux futures générations.
“Il est souhaitable que les gens lisent l’histoire du Rwanda et d’autres pays qui ont connu le génocide et ses conséquences, pour ainsi connaître la valeur de l’être humain, savoir comment vivre ensemble, s’unir et s’entraider pour se développer au lieu de s’entredéchirer”, espère-t-il.
Les jeunes Rwandais n’abordent pas tous le génocide de la même manière. Certains restent détachés d’un événement lointain, d’autres sont écrasés par son poids, d’autres encore, trop intimement affectés, font tout pour oublier.
Bruce, lui, dit avoir choisi “la voie consistant à comprendre que même si nous n’étions pas là, cela fait malgré tout partie de notre histoire, c’est un trait caractéristique de ce que nous sommes en tant que pays mais aussi en tant qu’individus”.
“Ceux d’entre nous qui comprennent cela, nous essayons de faire de nos communautés et de notre pays un endroit meilleur”.
Source: AFP