Devant une foule de 60.000 personnes, des dirigeants religieux maliens ont réclamé dimanche à Bamako la fin de la malgouvernance et de la “dépravation des moeurs”, appelant au départ du Premier ministre auquel ils reprochent notamment une approche laxiste de l’homosexualité, question taboue dans ce pays très majoritairement musulman.
Par Serge DANIEL
A l’appel de l’influent président du Haut conseil islamique du Mali (HCIM), l’imam Mahmoud Dicko, et du chérif de Nioro, Boyé Haïdara, un dirigeant religieux musulman très respecté, les travées du stade du 26-mars, le plus grand de la capitale, se sont remplies dès le début de la matinée.
Séparées des hommes, de nombreuses femmes voilées étaient assises dans les tribunes.
“Notre guide, notre leader, c’est Mahmoud Dicko”, a lancé Moussa Dicko, un chauffeur de minibus de 21 ans, expliquant avoir pris un jour de congé pour se rendre au stade.
– ‘Refondation totale’ –
“Les musulmans ne peuvent pas laisser les choses pourrir devant eux. Désormais, ils seront vigilants et mobilisés pour leur patrie, leur religion et leur dignité”, a lancé l’imam Dicko, 64 ans, qui incarne dans le pays la tendance inspirée par la doctrine wahhabite, en vigueur en Arabie saoudite.
“Il faut une refondation totale du Mali”, a ajouté ce farouche défenseur des “valeurs traditionnelles” qui a souvent montré sa capacité à faire plier le pouvoir au cours de la dernière décennie. S’exprimant en bambara, il a condamné les “attaques terroristes” et le jihadisme, “qui n’a pas sa place au Mali”.
Par la voix de son porte-parole, le chérif de Nioro, absent dimanche, a réclamé le “limogeage” du Premier ministre, Soumeylou Boubeye Maïga, que les milieux religieux ont critiqué lors d’une récente controverse née d’un projet de manuel scolaire d’éducation sexuelle prônant une approche tolérante de la question de l’homosexualité. L’imam Dicko a également appelé à la démission du chef du gouvernement.
L’homosexualité n’est pas illégale au Mali mais des personnes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) sont victimes de discriminations, dont des actes de violence “punitive” commis par des membres de leur famille ou de leur entourage, selon des ONG.
Au plus chaud de la polémique, le chef du gouvernement avait annoncé la mise en place d’une commission, incluant “des représentants des autorités coutumières et des sensibilités religieuses”, pour “juger de la nécessité d’apporter des amendements ou de l’abandon définitif dudit manuel”.
Face à l’hostilité persistante de l’imam Dicko, opposé à “un texte qui veut enseigner l’homosexualité aux enfants à l’école”, l’abandon définitif du projet avait été officialisé par le président Ibrahim Boubacar Keïta lors de ses vœux de Nouvel An.
– ‘Gardiens de la morale’ –
Né dans la région de Tombouctou et formé notamment en Arabie Saoudite, l’imam Dicko a été impliqué dans des efforts de médiation pour résoudre la crise née lorsque le nord du pays était tombé aux mains des jihadistes en 2012.
S’il dénonce les exactions des jihadistes, son credo reste la réconciliation et la main tendue, alors que des zones entière du pays échappent encore au contrôle du gouvernement et que les attaques jihadistes, auxquelles se mêlent souvent des violences entre groupes armés et communautés rivales, se poursuivent dans le nord et le centre du pays, et débordent même au Burkina Faso et Nigeria voisins.
“Nous devons lutter contre la corruption. Pour changer les choses, les musulmans pourront même présenter des candidats à des postes. Il faut lutter contre la dépravation des mœurs. Nous somme les gardiens de la morale”, a expliqué en marge du meeting l’un des porte-parole de l’imam Dicko, Issa Coulibaly.
Pour son meeting, l’imam Dicko, qui entretient des relations en dents de scie avec le chef de l’Etat, s’est offert le luxe de refuser l’aide financière de 50 millions de francs CFA (environ 75.000 euros) proposée par le gouvernement, qui aurait selon lui “vidé de sa substance” le rassemblement, ses proches dénonçant une “tentative de récupération”.
Source: AFP