Les mausolées de saints musulmans de Tombouctou, perçus par la population comme des protecteurs contre les dangers dans cette ville légendaire du nord du Mali, ont été en grande partie détruits à coups de pioche, houe et burin par des jihadistes en 2012 et reconstruits à l’identique grâce à l’Unesco.
Lundi s’ouvre devant la Cour pénale internationale (CPI) le procès d’un dirigeant du groupe jihadiste touareg malien Ansar Dine, Ahmad Al Faqi Al Mahdi, accusé d’avoir participé à toutes les étapes de la destruction et qui plaide coupable.
– Que sont ces mausolées ?
Ce sont des tombeaux de personnalités vénérées, dites “saints” à Tombouctou, ville inscrite par l’Organisation des Nations unies pour l’Education, la Science et la Culture (Unesco) en 1988 sur sa liste du patrimoine mondial de l’humanité, puis reclassée en 2012 comme patrimoine mondial en péril.
Quand ces personnalités “considérées comme vertueuses” décédaient, “leurs tombes étaient exposées à la profanation” par des individus attribuant des pouvoirs à leurs restes, explique à l’AFP El-Boukhari Ben Essayouti, expert culturel et chef de la Mission culturelle de Tombouctou qui a piloté le projet de réhabilitation des sites.
Selon lui, c’est pour les mettre à l’abri que leurs lieux de sépulture ont été érigés en mausolées, généralement en terre crue, à travers Tombouctou. Cette ville, fondée au Ve siècle, a connu “son apogée économique et culturel aux XVe et XVIe siècles”, selon l’Unesco, et fut un grand centre intellectuel de l’islam.
Certains tombeaux sont en ville ou dans des cimetières, d’autres dans des mosquées; Tombouctou en compte trois grandes historiques: Djingareyber, Sankoré et Sidi Yahia.
Actuellement, on dénombre au total 22 mausolées intacts à Tombouctou, dont 16 inscrits sur la liste du patrimoine de l’Unesco, mais parmi ces derniers, certains “ont disparu du fait de l’ensablement”, précise M. Ben Essayouti.
– De quand datent-ils ?
Les plus anciens remontent au XIVe siècle, d’après les spécialistes.
– Qui les a construits ?
Leur édification initiale est une oeuvre collective et anonyme mais généralement le fait “de la famille ou des disciples” du saint concerné. “Au fil du temps, des travaux d’aménagement ou de réhabilitation sont engagés” par divers acteurs: proches, habitants ou mécènes, d’après M. Ben Essayouti.
– Pourquoi sont-ils si importants ?
Les personnages vénérés enterrés dans les mausolées valent à Tombouctou son surnom de “Cité des 333 saints”. Il y en a qui sont sollicités “pour les mariages, pour implorer la pluie, contre la disette”.
Avec les mosquées historiques de la ville, ces mausolées témoignent du “passé prestigieux de Tombouctou”, selon l’Unesco, rappelant qu’ils ont été des “lieux de pèlerinage au Mali et dans les pays limitrophes d’Afrique occidentale”.
– Qui les a détruits, quand et pourquoi ?
Quatorze des mausolées avaient été détruits par des groupes jihadistes liés à Al-Qaïda, dont Ansar Dine, au nom de la lutte contre “l’idolâtrie” en 2012, après avoir tenté en vain d’en détourner la population. Ces groupes ont dicté leur loi dans le nord du Mali de mars-avril 2012 jusqu’au déclenchement, en janvier 2013, d’une opération militaire internationale à l’initiative de la France, qui se poursuit actuellement. Mais des zones entières échappent encore au contrôle des forces maliennes et étrangères.
– Comment ont-ils été reconstruits ?
Leur reconstruction a été lancée en mars 2014 dans le cadre d’un programme mis en oeuvre par l’Unesco et financé par plusieurs pays et institutions. Elle a été confiée à un groupe de maçons locaux qui, sous la supervision de l’imam de la grande mosquée de Djingareyber, ont reproduit les sites originaux en récupérant des restes de murs, consultant des photos, interrogeant des anciens…
Les travaux se sont achevés en juillet 2015, selon l’Unesco. Les cénotaphes remis à neuf ont été réceptionnés le 4 février dernier lors d’une cérémonie symbolique dite de “sacralisation”.
Un jihadiste malien a demandé pardon lundi à son peuple en plaidant coupable, à l’ouverture de son procès historique à la CPI, de la destruction en 2012 de mausolées classés au Patrimoine mondial de l’humanité à Tombouctou, appelant les musulmans à ne pas imiter ces actes “diaboliques”. C’est une avalanche de premières pour ce procès qui devrait durer une semaine: le premier pour destruction de patrimoine culturel, le premier où un accusé plaide coupable, le premier pour un jihadiste présumé et le premier lié au conflit malien.
“Votre Honneur, j’ai le regret de dire que tout ce que j’ai entendu jusqu’à présent est véridique et reflète les événements”, a affirmé Al Faqi Al Mahdi, environ 40 ans, après la lecture des charges: “je plaide coupable”.
Le Touareg est accusé d’avoir “dirigé intentionnellement des attaques” contre neuf des mausolées de Tombouctou et contre la porte de la mosquée Sidi Yahia entre le 30 juin et le 11 juillet 2012.
“Je me tiens devant vous dans cette enceinte plein de remords et de regrets“, a-t-il ajouté. Il s’est dit “fort contrit de mes actes et de tous ces préjudices que cela a causé à mes êtres chers, à mes frères et à ma mère patrie, la République du Mali, et aux membres de l’humanité aux quatre coins du monde”.
– ‘Page noire’ –
Fondée au Ve siècle par des tribus touareg, Tombouctou est devenue un grand centre intellectuel de l’islam et a connu son apogée au XVe siècle.
En tant que chef de la Hisbah, la brigade islamique des moeurs, il aurait ordonné et participé aux attaques contre les mausolées, détruits à coups de pioche, de houe et de burin.
“Ces bâtiments étaient les plus connus de Tombouctou et faisaient partie de son héritage historique, ils faisaient partie de l’histoire du Mali et de celle du monde”, a affirmé la procureure Fatou Bensouda.
“C’est un crime qui porte un coup aux valeurs universelles que nous devons tous protéger”, a-t-elle ajouté. “Ce qu’il s’est passé à Tombouctou est une page noire dans l’histoire de la ville”.
Pour soutenir sa déclaration liminaire, le bureau du procureur a diffusé des images de jihadistes, kalachnikov à l’épaule, haches et pioches à la main, faisant tomber par pans entiers les murs en terre crue.
Une interview d’Ahmad Al Faqi Al Mahdi accordée à des médias français et des images satellites, prises avant et après les destructions, ont également été montrées.
– Neuf à 11 ans de prison –
L’accusation affirme que cet homme aux petites lunettes était un membre d’Ansar Dine, qui fait partie des groupes jihadistes liés à Al-Qaïda qui ont contrôlé le nord du Mali pendant environ 10 mois en 2012, avant d’être en grande partie chassés par une intervention internationale déclenchée en janvier 2013.
Les personnages vénérés enterrés dans les mausolées valent à Tombouctou son surnom de “Cité des 333 saints” qui, selon des experts maliens de l’islam, sont considérés comme les protecteurs de la ville, susceptibles d’être sollicités pour des mariages, pour implorer la pluie ou lutter contre la disette.
L’accusation va demander une peine comprise entre neuf et 11 ans de détention, a affirmé un membre du bureau du procureur. L’accusé s’est engagé à ne pas faire appel si la condamnation rentre “dans cette échelle”, a précisé un de ses avocats.
Ahmad Al Faqi Al Mahdi a assuré avoir été à l’époque “sous l’emprise d’une bande de leaders d’Al-Qaïda et d’Ansar Dine”: “il me reste à lancer un message à tous les musulmans du monde entier, qu’ils résistent à ce genre d’actions dont les conséquences n’ont pas de limites et pas de bénéfices”.
“C’est mon espoir que les années que je vais passer en prison me permettront de me purger des esprits diaboliques qui avaient pris possession de ma personne”, a-t-il ajouté.
Les ONG maliennes ayant fait le déplacement à La Haye ont apprécié les déclarations de l’accusé. “Il n’est jamais trop tard de dire pardon… Mais nous voudrions que la procureure continue ses investigations sur d’autres crimes qui ont été commis à Tombouctou, surtout sur les femmes”, a affirmé à l’AFP Bakary Camara, secrétaire général de l’Association Malienne des Droits de l’Homme.
Source: AFP