Muhammadu Buhari ne cesse de le répéter depuis son arrivée au pouvoir: Boko Haram est vaincu. Mais l’enlèvement de masse d’une centaine d’adolescentes a révélé de graves failles sécuritaires, à un an de l’élection présidentielle.
Par Phil HAZLEWOOD
Le 19 février, des combattants présumés de Boko Haram, lourdement armés, sont arrivés par convoi dans la petite ville de Dapchi, dans le nord-est du pays, d’où ils ont enlevé 110 jeunes filles âgées de 11 à 18 ans.
Après une semaine de confusion et de déclarations contradictoires, le président Buhari a fini par prendre la parole, qualifiant cette attaque de “catastrophe nationale” et présentant ses excuses aux familles.
Le mode opératoire des jihadistes comme le cafouillage officiel après l’attaque – des responsables ont assuré qu’une partie des victimes avaient été retrouvées, avant de se rétracter – rappellent ce qui s’est passé à 275 km de là, à Chibok en 2014, lorsque Boko Haram avait enlevé plus de 270 lycéennes.
Le drame de Chibok avait ouvert les yeux du monde sur les terribles exactions commises par le groupe jihadiste au Nigeria et entraîné une vague d’émotion mondiale sur les réseaux sociaux avec le mouvement “bring back our girls”. Il avait aussi contribué à la défaite du chef d’Etat Goodluck Jonathan à la présidentielle, l’année suivante.
Muhammadu Buhari, un ancien général, avait fait de la sécurité dans le nord-est l’un de ses principaux arguments de campagne, s’engageant à écraser Boko Haram. Mais malgré d’incontestables succès – le groupe islamiste armé ne contrôle plus de larges parties du territoire nigérian, comme ce fut le cas entre 2014 et 2015 -, les observateurs s’accordent à dire que la résilience de Boko Haram pourrait coûter cher au président en exercice, à l’approche de l’élection prévue en février 2019.
Pour Don Okereke, consultant en sécurité à Lagos, l’enlèvement de Dapchi “change la donne sur le plan politique”.
“L’enlèvement des écolières de Chibok a sapé la candidature de Goodluck Jonathan à un second mandat. Si Buhari décide finalement de se représenter, le même scénario va se reproduire”, estime-t-il. “Le gouvernement fait beaucoup d’effets d’annonce, mais il faut beaucoup plus que de la propagande pour remporter une élection”.
– ‘Jeu du chat et de la souris’ –
Bien avant Dapchi, des doutes persistaient sur la réalité de la victoire annoncée contre Boko Haram.
En annonçant dès décembre 2015, quelques mois après son arrivée au pouvoir, que Boko Haram était “techniquement vaincu”, Muhammadu Buhari a commis une erreur, qui s’est retournée contre lui à chaque nouvelle attaque.
“Comment, si Boko Haram est vaincu, peut-il encore mener une opération d’envergure comme l’enlèvement de 100 élèves à Dapchi, une région qui est sous contrôle militaire? C’est la question que tout le monde se pose”, martèle Freedom C. Unuoha, politologue à l’Université de Nsukka, au Nigeria.
Et parallèlement à son discours officiel sur un mouvement islamiste moribond, le gouvernement a voulu fin 2017 octroyer un milliard de dollars supplémentaires, générés par les fonds d’excédents pétroliers, pour aider à lutte contre Boko Haram, suscitant une fronde des gouverneurs mettant à mal l’unité nationale et aggravant la division entre Nord musulman et Sud à majorité chrétienne.
Sur le plan militaire, “les forces de sécurité nigérianes n’ont toujours pas de stratégie claire pour protéger les villes ou les villages, une fois libérés de l’emprise de Boko Haram”, estime Matthew Page, du think-tank londonien Chatham House, et spécialiste du pays. “En conséquence, l’armée et les insurgés continuent leur jeu de chat et de la souris. Cette insurrection ne cesse de renaître sur un appareil sécuritaire faible, corrompu et inefficace”.
Et Boko Haram n’est pas la seule menace qui pèse sur la sécurité du Nigeria: l’insurrection pour un meilleur partage des ressources se poursuit dans le delta du Niger et la crise dans le centre du pays entre éleveurs nomades musulmans et agriculteurs chrétiens connaît une résurgence sanglante.
A 75 ans, Muhammadu Buhari, qui a passé de longs mois en 2017 à Londres pour raisons de santé, n’a pas officiellement annoncé sa candidature pour un second mandat. En dépit des crises sécuritaires et d’une situation économique très difficile (-1,58% de croissance en 2016, 0,83% en 2017), il bénéficie cependant d’un soutien passionné de la base de son parti, le All Progressives Congress (APC).
Mais pour l’analyste nigérian Chris Ngwodo, d’ici 2019, le gouvernement aura “désespéramment besoin d’une nouvelle positive s’il veut inverser la tendance”.
Source: AFP