Au poste frontière de Semè-Podji, vendeurs, restaurateurs ou transitaires béninois prennent de plein fouet la crise économique que traverse leur voisin nigérian et considèrent la visite de leur président Patrice Talon à Abuja comme leur seul espoir.
Alors que les chefs d’Etat des deux pays se rencontraient mardi à Abuja, notamment pour parler de leurs accords commerciaux, Stanislas Houngbedj, vendeur de liqueur et de jus de gingembre, se désolait de ne voir plus aucun client.
“Avant je vendais par semaine plus d’une cinquantaine de cartons. A peine deux se sont vendus la semaine dernière”, raconte-t-il à un journaliste de l’AFP, désemparé de voir son chiffre d’affaires s’effondrer en même temps que l’économie du pays voisin, un marché de 170 millions d’habitants.
Le plus grand producteur de pétrole du continent souffre directement de la chute du prix du baril, entraînant une inflation record de 16,5% en juin. Le taux de change par rapport au Franc CFA a quasiment doublé.
“Il y a encore quelques mois pour acheter mon carton de jus, mes clients payaient 5.315 nairas. Actuellement ils payent 10.220 nairas pour le même carton. La différence de prix est énorme”, explique M.Houngbedj.
Frédéric Abata, un transitaire de riz, affirme n’avoir plus aucun dossier à traiter depuis deux mois et espère que la rencontre entre les chefs d’Etat pourra donner un nouveau souffle à sa petite entreprise.
“Patrice Talon est notre dernier recours. Son voyage au Nigeria me rassure et j’attends la suite”, confie-t-il.
Beaucoup de Béninois attendaient cette visite avec impatience depuis que M. Talon est arrivé à la présidence il y a trois mois. Il est de tradition après chaque élection que le nouveau chef d’état se rende au Nigeria pour sa première visite diplomatique. Mais à la surprise de tous, M. Talon avait choisi la Côte d’Ivoire, affirmant que Muhammadu Buhari n’était pas en mesure de le rencontrer.
Les relations entre les deux pays se sont tendues avec l’arrivée de M. Buhari au pouvoir, bien décidé à mettre un terme définitif au commerce informel entre les deux pays, “ce problème de longue date”, comme il l’a rappelé mardi au terme de la rencontre.
-le pidgin, langue des affaires-
Face à la crise économique, le gouvernement nigérian veut renforcer sa politique douanière pour empêcher les importations au marché noir et favoriser l’émergence d’une industrie locale.
Pendant des décennies, tout passait par la frontière de Semè-Podji, en échange de quelques billets glissés dans la poche des douaniers: liqueur, tissus, produits congelés, mais aussi ordinateurs, ou encore voitures d’occasion importées d’Europe. Le port de Cotonou, au Bénin est moins cher et moins cahotique que celui de Lagos, et il est devenu au fil des ans, le port d’importation du Nigeria.
Dans le marché de Cotonou, la langue des affaires est le pidgin, le créole nigérian, et le Bénin est quasiment devenu une province de son voisin.
Mais le président nigérian a rappelé à son homologue qu’il fallait “respecter les engagements commerciaux tels qu’ils sont établis par la CEDEAO (Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest). Si nous nous montrons stricts, je pense que les industries nigérianes en profiteront.”
En temps de crise, c’est du chacun pour soi et le Bénin a peu de marge de manoeuvre pour négocier face à la première économie du continent.
Frédéric Abata, le transitaire de riz s’inquiète: “Si cela dure encore un mois je crois que nous serons nombreux à mettre la clé sous le paillasson”, promet-il.
Mais le président nigérian, qui doit surtout gérer le mécontentement grandissant de sa population, est resté intransigeant sur sa décision. Quand le géant tremble, ce sont les voisins qui s’écroulent.
Source: AFP