Parcours vers l’extrémisme violent : de jeunes africains témoignent

D’après 71% des recrues interrogées, une forme d'action gouvernementale ou une autre a été « l’élément déclencheur ». Photo: PNUD en Somalie

Un nouveau rapport du programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), issu d’une enquête auprès de plusieurs centaines de personnes, identifie les principaux facteurs de ralliement aux groupes extrémistes violents en Afrique. Le document publié hier au siège des Nations Unies à New York révèle que dénuement et marginalisation, accentués par la faiblesse des pouvoirs publics, figurent parmi les principales raisons qui poussent les jeunes africains vers l’extrémisme violent.

Se fondant une enquête auprès de 495 recrues volontaires d’organisations extrémistes telles que Al-Shabaab et Boko Haram, l’étude révèle également que les actes de violence ou d’abus de pouvoir supposés de la part de l’État constituent souvent l’élément déclencheur de la décision de rejoindre un groupe extrémiste.

Le rapport intitulé Vers l’extrémisme en Afrique : Facteurs, Motivations et Éléments déclencheurs du Recrutement (en anglais), présente les résultats de deux ans d’étude réalisée par le Bureau régional du PNUD pour l’Afrique et porte sur le recrutement au sein des groupes extrémistes majeurs en Afrique.

L’étude fait ressortir le portrait type d’un individu frustré, marginalisé et négligé depuis l’enfance, en mal de perspectives d’avenir, économiques ou civiques, et ayant peu confiance dans les capacités de l’État à assurer les services de base ou à assurer le respect droits de l’homme. Selon le rapport, un tel individu serait plus susceptible de basculer vers l’extrémisme s’il est témoin ou victime d’un abus de pouvoir supposé de la part des pouvoirs publics.

« Cette étude tire la sonnette d’alarme en indiquant que l’Afrique, en tant que région, est de plus en plus vulnérable à l’extrémisme violent », a déclaré M. Abdoulaye Mar Dieye, Directeur du Bureau régional du PNUD pour l’Afrique, à l’occasion du lancement du rapport au siège des Nations Unies. « Les zones frontalières et les régions périphériquesrestent encore isolées et mal desservies. Les capacités des pouvoirs publics dans les domaines critiques ont du mal à suivre le rythme de la demande. Plus de la moitié de la population africaine vit en dessous du seuil de pauvreté, y compris de nombreux jeunes en situation de sous-emploi chronique ».

« La fourniture de services de base, le renforcement des institutions, et la création d’opportunités d’autonomisation économique sont des questions de développement », a ajouté M. Dieye. « D’où la nécessité urgente d’accorder une place plus centrale aux enjeux sécuritaires dans les stratégies de développement ».

L’étude fait la synthèse des conditions et facteurs qui influent sur la dynamique du processus de recrutement, incitant certains individus à se tourner vers l’extrémisme, alors que d’autres s’en écartent dans leur grande majorité.

JALONS D’UN PARCOURS

Les participants à l’étude ont été interrogés sur leur situation familiale, notamment leur enfance et leur éducation ; leur croyance religieuse ; leur situation économique ; l’État et la citoyenneté ; et enfin, « l’élément déclencheur » du ralliement auprès d’un groupe.

Sur la base des réponses à ces questions, l’étude a établi que :

  • La majorité des recrues proviennent de zones frontalières ou de régions périphériques qui souffrent de marginalisation depuis des générations. Ils indiquent n’avoir eu qu’une faible supervision parentale pendant leur enfance.
  • La plupart des recrues expriment une certaine frustration par rapport à leur situation économique, l’emploi étant le besoin le plus pressant au moment de rejoindre un groupe. Les recrues éprouvent également un ressentiment profond à l’égard des pouvoirs publics : 83 % d’entre elles estiment que le gouvernement ne se soucie que des intérêts d’un petit nombre, et plus de 75 % ne font pas confiance à la classe politique ni à l’appareil sécuritaire de l’État.
  • Le recrutement en Afrique s’effectue principalement au niveau local, d’une personne à l’autre, plutôt qu’en ligne, comme c’est le cas dans d’autres régions, un facteur qui peut modifier les formes et modes de recrutement à mesure que la connectivité s’améliore.
  • Quelque 80 % des recrues interrogées ont rejoint en moins d’un an le groupe extrémiste avec lequel ils sont entrés en contact, et près de la moitié d’entre elles l’ont rallié en moins d’un mois.
  • S’agissant de la sortie d’un groupe extrémiste violent, la plupart des personnes interrogées qui se sont rendues ou ont demandé l’amnistie, l’ont fait après avoir perdu confiance dans l’idéologie, les dirigeants ou les actions de leur groupe.

LES AGISSEMENTS DU GOUVERNEMENT COMME ÉLÉMENT DÉCLENCHEUR

L’une des principales constatations de l’étude est que, d’après 71% des recrues interrogées, les agissements du gouvernement constituent « l’élément déclencheur » qui pèse sur leur choix de rallier un groupe extrémiste. Les agissements les plus souvent cités étaient, notamment, le meurtre ou l’arrestation d’un membre de la famille ou d’un ami.

L’ÉDUCATION COMME OUTIL DE RÉSILIENCE

L’étude apporte également un éclairage sur le rôle nuancé de la religion comme motif d’extrémisme.

Les données indiquent que, contrairement aux idées reçues, ceux qui rejoignent les groupes extrémistes ont tendance à avoir des niveaux plus bas d’éducation religieuse ou formelle, ainsi qu’une compréhension plus limitée des textes religieux.

Même si plus de la moitié des répondants ont invoqué la religion pour justifier leur ralliement d’un groupe extrémiste, 57% des personnes interrogées ont admis avoir une connaissance très limitée des textes religieux ou de leurs interprétations, ou ne pas en avoir fait la lecture.

En effet, l’étude semble indiquer que la bonne connaissance de la religion peut renforcer la résistance à l’extrémisme : il a été démontré, parmi les personnes interrogées, que le fait d’avoir suivi au moins six années d’études religieuses réduit de 32 % la probabilité de rejoindre un groupe extrémiste.

DROITS DE L’HOMME, ÉTAT DE DROIT, INTERVENTION LOCALE

L’étude appelle les gouvernements à réexaminer leurs réponses militaires à l’extrémisme, dans la perspective de l’État de droit et de leurs engagements en faveur des droits de l’homme.

Parmi les principales recommandations de l’étude figurent l’intervention au niveau local, notamment à travers l’appui aux initiatives communautaires axées sur la cohésion sociale, ainsi que l’amplification de la voix des leaders religieux locaux qui prônent la tolérance et la cohérence.

Au demeurant, l’étude prévient que ces initiatives doivent être pilotées par des acteurs locaux dignes de confiance.

« Il y a une chose dont nous avons la certitude : dans le contexte africain, le porteur du message contre l’extrémisme est aussi important que le message en soi », a déclaré M. Dieye. « Cette voix locale de confiance est également essentielle pour apaiser le sentiment de marginalisation qui peut accroître la vulnérabilité au recrutement ».

TÉMOIGNAGES DE SURVIVANTS

Un livre et une exposition photographiques ont été réalisés en complément du rapport,  et pour mieux sensibiliser le public au coût humain de l’extrémisme violent et rappeler les conséquences dévastatrices du cheminement vers l’extrémisme.

L’exposition « Récits de survivants de l’extrémisme violent en Afrique subsaharienne » présente des photographies et des histoires documentées en 2016 dans six pays du continent africain directement touchés par l’extrémisme violent, à savoir le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Nigéria, la Somalie et l’Ouganda.

Selon le PNUD, quelque 33 300 personnes ont perdu la vie dans des actes extrémistes violents perpétrés en Afrique entre 2011 et début 2016. Les opérations de Boko Haram ont à elles seules causé au moins 17 000 morts et provoqué le déplacement de 2,8 millions de personnes dans la région du Lac Tchad. Ces actes extrémistes violents ont également eu des répercussions négatives sur le tourisme et les investissements directs étrangers dans des pays comme le Kenya et le Nigéria.

Source: UNDP