Outre les anciens rebelles des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) ayant déposé les armes, le camp de Mutobo accueille depuis décembre l’ex-major Bernard Ntuyahaga, qui a purgé 20 ans de prison pour les meurtres de dix Casques bleus belges en 1994.
Par Cyril BELAUD
L’ancien officier des Forces armées rwandaises (FAR), né en 1952, est arrivé contre son gré au Rwanda le 21 décembre, quelques mois après sa libération, après avoir épuisé tous ses recours juridiques pour rester en Belgique ou rejoindre son épouse et sa fille réfugiées au Danemark.
Il a éconduit il y a quelques semaines une équipe de journalistes belges venus l’interviewer. Mais il accepte de parler à l’AFP, à condition de ne pas avoir à revenir sur les circonstances l’ayant mené en prison.
En 2007, un tribunal belge l’a condamné à 20 ans de réclusion pour les meurtres de dix Casques bleus belges, chargés de la protection de la Première ministre Agathe Uwilingiyimana, et d’un “nombre indéterminé” de Rwandais lors du génocide.
Mme Uwilingiyimana devait lancer un appel à l’unité à la radio, quelques heures après l’attentat ayant coûté la vie le 6 avril 1994 au président Juvénal Habyarimana, élément déclencheur d’un génocide qui a fait, selon l’ONU, au moins 800.000 morts, essentiellement au sein de la minorité tutsi.
Selon le jugement, Bernard Ntuyahaga a fait arrêter les Casques bleus et les a conduits dans un camp militaire où ils ont été lynchés. Mais il a été acquitté pour la mort de Mme Uwilingiyimana, tuée après avoir été séparée de ses gardes du corps.
Le corps rond mais encore énergique, l’ex-major dit préférer s’exprimer en français. Son kinyarwanda lui échappe un peu, après 25 années d’exil. Il explique avoir craint pour sa sécurité à son retour au Rwanda. Mais les premières semaines à Mutobo l’ont rasséréné.
– ‘Comme des frères d’armes’ –
“Une fois arrivé au Rwanda, directement j’ai vu un accueil et une ambiance sur laquelle, quand j’étais à l’extérieur, comme tout réfugié, je n’avais pas d’information”, raconte-t-il. “Parce qu’à l’extérieur du pays, les informations que nous recevions, c’était chaque fois ce qui n’allait pas au Rwanda.”
Au camp, il a suivi des cours d’éducation civique et diverses formations destinées à faciliter le retour à la vie civile. “Ici sur le terrain on voit l’autre face, la face des choses qui marchent: la nouvelle organisation sociale, les nouvelles institutions et ça m’a rassuré et ça a rassuré aussi ma famille et mes amis qui sont à l’extérieur”.
Parmi les instructeurs venant à Mutobo, figurent d’anciens soldats du Front patriotique rwandais (FPR) qui, mené par Paul Kagame. allait s’emparer de Kigali en juillet 1994 et mettre fin au génocide. Mais Bernard Ntuyahaga a retrouvé auprès des ennemis d’hier une camaraderie qui lui plaît. “On se sent comme des frères d’armes, ce qui est bon après des conflits”, confie-t-il.
“Ce qui m’a conforté aussi, c’est qu’on dit (qu’untel) est rwandais, avant d’autres considérations régionales ou ethniques”, ajoute celui qui dit avoir beaucoup lu en prison sur la géopolitique et met largement les malheurs du Rwanda sur le compte de l’Occident.
Par instants, il donne l’impression de réciter le discours officiel, sans qu’on sache si c’est parce qu’il craint sinon de se mettre à dos les autorités ou parce qu’il est véritablement convaincu d’avoir un avenir au Rwanda.
“Avec les quelques mois qu’on a passés ici, on se sent déjà à l’aise”, jure-t-il. Il devrait recevoir un passeport, qui lui permettrait d’aller voir sa famille au Danemark, mais s’attend à ce que le processus prennent des mois sinon des années.
A Mutobo, il a appris comment “mener une activité privée, lucrative, rentable, dans le domaine de l’agriculture, l’élevage, le commerce, les services”, et a obtenu la garantie de parallèlement toucher sa retraite.
Et en tant qu’ex-militaire, il sera enregistré comme réserviste. “Avec tout ça, les éléments que j’ai actuellement (…) je suis optimiste pour les années qui me restent à vivre”.
Source: AFP