Délicatement, l’équipe de soigneurs ramène Kenzo la tortue de mer sur la plage de Watamu, au sud-est du Kenya, jonchée de bouchons, pots de yaourt et tongs usagées. Enfin débarrassé de son harnais, l’animal pousse dur sur ses pattes et gagne les vagues mouchetées de ces déchets qui menacent tant de ses congénères.
Dans un mouvement parfait, Kenzo disparaît dans les profondeurs de l’océan Indien. Cas rare de fin heureuse pour ces tortues kényanes directement menacées par notre surconsommation de plastique.
Plusieurs dizaines d’entre elles réclament chaque année une prise en charge urgente sur cette côte idyllique de Watamu où s’accumulent des plastiques venus parfois de très loin, d’Indonésie, de Madagascar ou du Yémen, comme en témoignent les étiquettes sur les détritus.
Les plus courants sont les bouchons, mais il y a aussi les briquets, brosses à dents, emballages alimentaires, bouteilles, et bien sûr les sacs. Que les tortues confondent avec des méduses ou autres sources de nourriture.
“Cela provoque une occlusion… mais elles ont toujours faim, alors elles continuent de manger. Ca s’accumule, ça s’accumule, et elles finissent par imploser,” explique Casper van de Geer, directeur du Local Ocean Conservation, qui prend en charge les tortues de Watamu.
“Ou bien elles souffrent tellement qu’elles sentent qu’elles doivent cesser de manger. Alors elles meurent de faim,” explique-t-il, tout en ramassant des déchets sur la plage.
Beaucoup de tortues sont ainsi retrouvées flottant, tout juste en vie, si remplies de plastique qu’elles ne parviennent plus à plonger. A ce stade, très peu peuvent être sauvées.
A la “clinique” des tortues, l’équipe de Casper van de Geer leur administre des laxatifs.
“Cela prend un certain temps, mais à la fin, après beaucoup de souffrance… je veux dire, c’est un reptile, qui ne peut exprimer sa souffrance sur son visage, mais vous pouvez voir qu’il ferme ses yeux et qu’il est entièrement tendu, et soudain +pouf+, tout sort”, décrit-il. “Mais parfois elles n’y arrivent pas. Et souvent l’animal meurt.”
– 9,1 milliards de tonnes –
La pollution des océans par les plastiques est à l’agenda de l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement, qui s’ouvre lundi à Nairobi.
Selon le Fonds mondial pour la nature (WWF), 8,8 millions de tonnes de plastique rejoignent les mers chaque année. Or un sac plastique met des centaines d’années à disparaître, et des plastiques plus durs peuvent prendre des millénaires.
D’après une étude américaine, plus de 9,1 milliards de tonnes de plastique ont jusqu’ici été produites dans le monde, la plupart finissant en décharge ou dans l’océan.
Avant l’ouverture de l’Assemblée lundi, le chef de l’agence de l’ONU pour l’environnement (PNUE), Erik Solheim, a appelé à une action urgente pour que les océans ne se transforment pas en “soupe de plastique”. Au rythme actuel, “d’ici 2050 il y aura plus de plastique dans les mers que de poisson”, a-t-il prévenu.
A Watamu, les habitants font ce qu’ils peuvent.
Mohamed Iddi, un pêcheur de 42 ans, assure ramasser chaque jour sur la plage deux à trois gros sacs poubelle remplis de plastiques.
“Certains sont amenés par la mer, d’autres par les gens venus pique-niquer sur la plage,” dit-il. “Parfois j’en trouve dans l’estomac” des poissons.
En ville, un programme baptisé “Regeneration Africa” recycle le plastique collecté par les bénévoles comme Mohamed Iddi, et le transforme en dalles et autres objets.
Au centre de soins des tortues, Kahindi Changawa regarde en souriant Kai, une tortue convalescente.
Kai est arrivée un mois plus tôt, émaciée et incapable de se maintenir sous l’eau. En plus des laxatifs, on lui a administré des médicaments anti-bactériens et anti-parasites, ainsi que des vitamines destinées à lui rendre l’appétit. Depuis six jours, ses selles ne montrent plus de trace de plastique, explique M. Changawa, visiblement soulagé.
“Elle a pleinement récupéré. Quand vous la sortez, elle s’agite, elle se bat. C’est un cas heureux. Nous espérons la relâcher dans les prochains jours”, dit-il. Une chance que bien d’autres n’auront pas.
Avec l’AFP