Au nord (en Libye) et à l’est (au Soudan), les rébellions tchadiennes n’ont jamais cessé d’inquiéter le régime d’Idriss Déby, dans un pays en proie à une sévère crise économique. Si des groupes rebelles s’agitent de nouveau depuis quelques mois, le contexte régional et l’état de l’opposition armée ne laissent pas augurer d’une offensive rebelle majeure, estime le chercheur Jérôme Tubiana, spécialiste du Tchad et du Soudan.
Propos recueillis par Caroline Chauvet
QUESTION: Déby doit-il craindre une nouvelle rébellion?
REPONSE: Pas dans l’immédiat. En 2008, Tchad et Soudan étaient en guerre par groupes rebelles interposés. Le Soudan accordait un soutien massif à tous les rebelles tchadiens qui se présentaient, y compris en armement. Aujourd’hui, Tchad et Soudan maintiennent de bonnes relations, même si elles peuvent être fragilisées par des positions divergentes de Khartoum et N’Djamena, en particulier sur la Libye.
Les rebelles tchadiens ont pu survivre ou se reconstituer en territoire libyen depuis la chute de Kadhafi, et même y trouver du soutien et des armes. Mais leur situation y est précaire parce qu’il n’y a plus d’Etat libyen, les acteurs en Libye s’intéressent surtout à utiliser les rebelles tchadiens comme mercenaires, et que les territoires changent fréquemment de mains.
De plus, la nébuleuse rebelle reste extrêmement fragmentée.
Enfin, l’état de l’armée tchadienne est meilleur qu’en 2008. Elle est certainement mieux équipée et mieux préparée à faire face à des forces rebelles.
Les interventions du Tchad à l’étranger ont un effet ambivalent: d’un côté, les militaires sont fiers que leurs qualités au combat soient reconnues internationalement; de l’autre, des faiblesses se sont révélées (manque d’équipement et de soutien logistique, retards de salaires, problèmes de discipline, violence envers les populations).
Les troupes ont aussi des revendications de plus en plus fortes. Des militaires désertent régulièrement, qui parfois se lancent dans des activités criminelles transfrontalières, ou rejoignent la rébellion.
Q: Quel a été l’impact au Tchad de la récente brouille avec le Qatar ?
R: N’Djamena a toujours soupçonné le Qatar de lui être hostile.
Avant la crise du Golfe et la fermeture de l’ambassade du Qatar au Tchad en août, les rebelles tchadiens avaient déjà de bonnes relations avec les milices libyennes soutenues par le Qatar, et le soutien qatari pourrait se faire plus direct.
Le chef de l’Union des forces de la résistance (UFR, coalition rebelle qui a marché sur N’Djamena en 2008 mais dont le nom n’est plus utilisé que par l’une des factions), Timan Erdimi, vit à Doha au Qatar depuis 2010. Au départ, il semblait y être très surveillé, mais il pourrait avoir désormais un peu plus de liberté.
Mais le jeu peut se révéler dangereux pour le Qatar et son principal allié régional le Soudan, notamment du fait des liens entre l’UFR et les rebelles darfouriens au Soudan.
La crise du Golfe pourrait aussi compliquer l’entente entre le Tchad et le Soudan, qui a résisté au fait que le Soudan soutient en Libye, des adversaires du maréchal Haftar et du Tchad.
Pour Khartoum, qui tente de jouer un double jeu dans la crise du Golfe (se rapprocher de l’Arabie Saoudite tout en restant loyal au Qatar), le Tchad reste un allié utile contre les rebelles du Darfour. Tant que Khartoum n’est pas obligé de faire un choix, cela peut fonctionner.
Q: De quoi vivent les rébellions tchadiennes en Libye et au Soudan?
R: Depuis le rapprochement Tchad-Soudan en 2010, elles ont surtout tenté de survivre, leurs éléments échappant au contrôle de leurs chefs pour se faire recruter dans d’autres forces (milices soudanaises “Janjawid”, katiba libyennes, coalition rebelle de l’ex-Séléka en Centrafrique), chercher de l’or au gré des ruées au travers du Sahel et du Sahara ou devenir “coupeurs de route” dans le Sud libyen, y compris en attaquant les convois trans-sahariens des trafiquants de drogue.
En Libye, une partie des combattants ou ex-combattants – devenus mercenaires, chercheurs d’or ou bandits-, ont pu se regrouper dans des camps où ils ont bénéficié de soutiens qui leur permettent de survivre sans nécessairement s’ingérer dans les conflits libyens ou perturber les routes.
Avec l’AFP