Guinée: Alpha Condé définitivement proclamé président pour un 3e mandat controversé

Alpha Condé lors d'un rassemblement électoral à Conakry le 16 octobre 2020 @ AFP

Alpha Condé a été définitivement proclamé samedi président de la Guinée. A 82 ans, il brigue ainsi un troisième mandat consécutif, après des mois d’une contestation qui aura coûté la vie à des dizaines de civils.

Par Mouctar BAH

M. Condé, en chemise blanche, s’est offert une sortie d’une heure dans les rues du centre de Conakry, se faisant acclamer par des foules de supporteurs aux couleurs jaunes de son parti. Il a promis “une nouvelle façon de gouverner”.

“J’ai dit que l’impunité est finie, le copinage est fini, le népotisme est fini, le détournement des biens de l’Etat c’est fini”, a-t-il assuré, sans développer davantage. “Nous allons revoir tous les contentieux franco-guinéens”, a-t-il aussi dit, sans préciser à quoi il faisait référence dans les relations délicates avec l’ancienne puissance coloniale.

La Cour constitutionnelle avait auparavant rejeté les recours du principal challenger de M. Condé, Cellou Dalein Diallo, et de trois autres des 12 candidats à la présidentielle du 18 octobre, qui dénonçaient des “bourrages d’urnes” et des irrégularités de toutes sortes. Elle a jugé le scrutin “régulier”.

M. Condé “a recueilli 2.438.815 voix, soit 59,50%, supérieurs à la majorité absolue; (la Cour) déclare en conséquence que M. Alpha Condé est élu au premier tour de l’élection présidentielle du 18 octobre président de la République de Guinée”, a annoncé son président Mohamed Lamine Bangoura en audience solennelle.

M. Diallo a obtenu 33,5% des suffrages, selon les chiffres officiels.

Après des mois de confrontation violente et des semaines d’une campagne vindicative, M. Condé a dit le moment venu “de faire taire (les) contradictions” et a offert sur les réseaux sociaux sa “main tendue” à tous pour améliorer les conditions de vie des Guinéens.

M. Diallo, quant à lui, comme il l’avait fait dès le lendemain de la présidentielle sans attendre les résultats officiels, a assuré avoir “gagné cette élection”, et a appelé ses partisans à défendre cette victoire “par tous les moyens légaux”.

La forme que prendra cette lutte est incertaine. La décision de la Cour constitutionnelle est sans appel et M. Condé va pouvoir commencer un nouvel exercice de six ans, éventuellement renouvelable une fois.

– “Coup d’Etat” constitutionnel –

L’ancien opposant historique, emprisonné et même condamné à mort avant de devenir en 2010 le premier président démocratiquement élu après des décennies de régimes autoritaires, rejoint aux yeux de ses adversaires et de maints défenseurs de la démocratie les rangs des dirigeants africains se maintenant au pouvoir au-delà du terme prévu, de plus en plus souvent en usant d’arguments légaux.

M. Condé a fait adopter en mars, malgré une contestation déjà vive, une nouvelle Constitution pour, dit-il, “moderniser (les) institutions” et, par exemple, accorder une plus grande place aux femmes et aux jeunes.

Comme la précédente, la Constitution limite le nombre de mandats présidentiels à deux. Mais, pour le pouvoir, son adoption a remis les compteurs à zéro et M. Condé, élu en 2010 et réélu en 2015, était fondé à briguer sa propre succession le 18 octobre.

L’opposition dénonce un “coup d’Etat” constitutionnel.

Depuis un an, ce pays parmi les plus pauvres du monde malgré des ressources minières et hydrologiques considérables, est le théâtre de manifestations plusieurs fois durement réprimées.

Dans un pays coutumier des confrontations politiques sanglantes, les craintes d’une nouvelle éruption autour du 18 octobre se sont confirmées à mesure que le dépouillement préfigurait le succès de M. Condé. Alors que les observateurs africains ont jugé régulier le déroulement du vote, le camp de M. Diallo a dénoncé une “fraude à grande échelle” au moment de la comptabilisation.

– Doutes occidentaux –

Les Etats-Unis, la France et l’Union européenne ont émis des doutes sur la crédibilité du résultat.

Au moins 46 personnes sont mortes dans la répression des manifestations post-électorales, et plus de 130 civils ont été tués depuis le début de la mobilisation en octobre 2019 selon l’opposition.

Les autorités évoquent des chiffres moindres. Elles refusent que ces morts soient globalement imputées aux forces de sécurité et invoquent la responsabilité des leaders d’opposition qu’elles accusent d’appeler à la violence.

Des défenseurs des droits humains fustigent une dérive autoritaire observée au cours des dernières années de la présidence Condé et remettant en cause les acquis du début.

M. Condé se targue d’avoir fait avancer les droits humains et d’avoir redressé un pays qu’il dit avoir trouvé en ruines.

Il se défendait en octobre sur Radio France Internationale et France 24 de vouloir instaurer une “présidence à vie”. La nouvelle Constitution lui permet théoriquement de se représenter dans six ans, une éventualité sur laquelle il s’est gardé de se prononcer dans cet entretien.

Rédaction/AFP