Côte d’Ivoire: émotion et souvenir autour de l’esclavage

(g-d): le ministre ivoirien de la Culture Maurice Bandaman, l'ex-président du Bénin Nicéphore Soglo, la grande chancelière Henriette Diabate, le vice-président ivoirien Kablan Duncan et l'ancien Premier ministre ivoirien Jeannot Ahoussou-Kouadio, lors de l'inauguration d'une stèle sur la "Route des Esclaves", le 6 juillet 2017 à Kanga Gnianzé | AFP | ISSOUF SANOGO

“Purification des esclaves”, c’est la signification de Kanga Gnianzé, hameau à une centaine de kilomètres au nord d’Abidjan rarement répertorié sur les cartes mais qui devrait prendre place dans la mémoire collective pour son rôle dans l’esclavage.

Par Patrick FORT

Tout de blanc vêtu, le champion du monde de football français Lilian Thuram passe entre deux haies de “guerriers” coiffés de foulards rouges et brandissant des bâtons pour s’approcher d’un petit cours d’eau où l’attend un féticheur, également vêtu de blanc.

Le footballeur, qui milite activement contre le racisme depuis la fin de sa carrière sportive, lui tend un oeuf en offrande. Après quelques incantations et un lavage de mains symbolique, le féticheur lui remet un petit caillou. On appose ensuite un cercle blanc de kaolin sur le front du champion du monde qui reçoit aussi un rameau, signe de paix.

C’est une cérémonie de purification par l’eau dans ce ruisseau sacré que les villageois sollicitent régulièrement quand leurs “enfants doivent passer des examens” ou ont des “souhaits à exaucer”, explique Claude Nguessan Nguessan, agriculteur du village.

Par le passé, Kanga (esclave) Gnianze (eau) était un point de passage par lequel transitaient de nombreux esclaves venus du nord et de l’est du pays.

Jeudi, outre Thuram, de nombreuses personnalités allant de l’ancien président béninois Nicéphore Soglo en passant par l’historien congolais Elikia M’Bokolo ou pléthore de notables ivoiriens se sont rassemblés pour inaugurer une stèle sur le site qui fait désormais partie de la “Route des Esclaves”, un projet lancé par l’Unesco en 1994 et qui recense des lieux historiques de passage des esclaves dans divers pays africains.

“Il reste beaucoup de recherches à faire ici et ailleurs dans le pays sur l’esclavage”, explique Aka Kouame, historien à l’université Félix Houphouët-Boigny et à la tête d’une équipe pluridisciplinaire recensant les sites liés à l’esclavage en Côte d’Ivoire. Les autorités ivoiriennes veulent faire émerger des études sur le sujet.

– ‘Pour qu’on se souvienne’ –

La cérémonie de purification des esclaves reste d’ailleurs entourée de mystère. Pour les villageois, elle était positive.

“Les esclaves arrivaient ici fatigués et cette purification leur donnait de la force, de la résistance pour continuer à vivre”, explique Aubin Kouassi Yapi, 34 ans, son fils d’un an et demi sur les genoux. Il tient l’histoire de son grand-père et promet de la raconter à son fils.

“Cette stèle c’est une bonne chose. Pour qu’on se souvienne” ajoute-t-il.

Toutefois, la cérémonie était peut être “comme dans d’autres lieux au Togo (…) destinée à dompter les esclaves, pour les rendre plus dociles avant le départ, mais cela reste à démontrer”, précise le professeur Aka Kouame.

Il évoqué la traite négrière européenne avec son commerce triangulaire responsable de la mort de milliers d’Africains et de la déportation vers l’esclavage et l’horreur dans les Amériques de plus de 10 millions d’hommes et de femmes. Il rappelle aussi l’existence de la traite interne à l’Afrique qui a perduré un temps après l’abolition occidentale.

Mais, en ce jeudi, il y surtout “la nécessité de se souvenir (qui) s’impose (…) elle doit permettre aux peuples de se reconstruire. Il s’agit de contribuer à la culture de la paix”, explique le vice-président ivoirien Daniel Kablan Duncan.

Une petite délégation d’Afro-Américains, dont des tests ADN ont révélé que leurs ancêtres étaient originaires de Côte d’Ivoire, sont là.

“C’est incroyable. Je travaillais avec la Côte d’Ivoire depuis deux ans avant d’apprendre que les tests ADN me liaient à ce pays!”, raconte Kelley Page Jibrell, entrepreneuse dans le secteur du beurre de karité, originaire de Washington.

Au départ, elle refusait les tests ADN parce qu’elle voulait rester sur une “identité panafricaine” mais elle n’a pas résisté à “vouloir connaitre ses racines”, dit-elle aux côtés de son fils Aden, âgé de 6 ans.

“Alleluia”, crie-t-elle, émue, après son passage au cours d’eau.

“C’est un honneur. Après tous ces siècles, ces générations, nos sangs et nos esprits sont toujours connectés. Mon coeur me semble différent. Il bat très fort, lentement. Il y a un sentiment d’apaisement”.

Source: AFP