En exil depuis seize ans, l’un des chanteurs les plus engagés de la scène zimbabwéenne, Thomas Mapfumo, est de retour au pays. A 72 ans, il ne mâche toujours pas ses mots contre le régime de l’ancien président Robert Mugabe qui l’a forcé à fuir.
Pendant les trente-sept ans du règne du “camarade Bob”, de 1980 à novembre dernier, “il n’y avait pas d’Etat de droit”, explique-t-il dans un entretien accordé à l’AFP.
“Je ne supporte par la dictature. Je n’aime pas les personnes autocentrées”, affirme le chanteur, les yeux cachés derrière des lunettes de soleil, sa chevelure épaisse retenue dans un bonnet noir. “Je disais haut et fort ce que je pensais du gouvernement et de ce qu’il se passait”.
De retour temporairement dans son pays, où il donnera un concert samedi dans Harare, Thomas Mapfumo a été accueilli en héros par des centaines de fans.
C’est la première fois qu’il revient chez lui depuis la chute de Robert Mugabe, contraint de démissionner à la suite d’un coup de force militaire soutenu par la population et le parti au pouvoir.
“On a été heureux d’entendre que Mugabe était parti mais on dirait qu’il n’y a toujours pas de développement”, constate Thomas Mapfumo.
“Ils sont restés trente-sept ans (au pouvoir) mais à quoi sont-ils parvenus ?”, interroge-t-il.
“Ils n’ont réussi qu’en matière de corruption et de pauvreté”. “La plupart des gens vivent dans la misère. Il n’y a pas de changement. Notre système de santé s’effondre, tout comme notre système éducatif”, énumère-t-il.
“L’économie est en ruine. Les pauvres deviennent de plus en plus pauvres, les riches de plus en plus riches.”
Depuis une dizaine d’années, le pays est embourbé dans une grave crise économique et financière, caractérisée par un taux de chômage qui avoisine les 90% et un manque de liquidités.
– ‘Soulevez-vous’ –
La popularité de Thomas Mapfumo remonte aux années de lutte pour l’indépendance quand le musicien appelait dans ses chansons à rejoindre la guerre de “libération”.
Son titre “Mères, envoyez votre progéniture à la guerre” était devenu un cri de ralliement.
Son activisme lui a valu plusieurs séjours en prison et plusieurs tentatives d’assassinat.
En 1980, pendant les célébrations de l’indépendance chèrement acquise, il joue aux côtés de la légende jamaïcaine du reggae Bob Marley. Mais rapidement, l’euphorie de la libération fait place au désenchantement.
En 1989, il publie l’album “Corruption”, interdit sur les radios et télévisions d’Etat mais devenu un tube.
Le gouvernement étouffe les voix dissidentes, les rassemblements de l’opposition sont interdits, mais Thomas Mapfumo refuse de se laisser museler. Son courage lui vaut les surnoms de “Gandanga” (rebelle), “Ouragan” ou encore “Lion du Zimbabwe”.
Le chanteur est accusé d’avoir acheté des voitures volées. Il encourt une longue peine de prison et choisit finalement l’exil pour les Etats-Unis, où il réside toujours.
Depuis l’autre côté de l’Atlantique, il continue à faire entendre sa voix. Dans son premier album écrit à l’étranger intitulé “Rise Up” (Soulevez-vous), il exhorte ses concitoyens qui ont “trop peur de dénoncer le régime” à rester forts.
“Je suis revenu car le Zimbabwe me manque. Ma famille me manque, mes amis me manquent, la dernière fois que j’ai joué au Zimbabwe remonte à un bail”, raconte Thomas Mapfumo.
Il n’était revenu brièvement qu’en 2003.
Quinze ans plus tard, le pays est embourbé dans une litanie de problèmes. Mais il salue, avec prudence, la campagne anti-corruption lancée par le nouveau président Emmerson Mnangagwa, ancien bras droit de Robert Mugabe avant que les deux hommes ne se fâchent.
“Ils essaient d’en finir avec la corruption, d’arrêter les personnes corrompues. C’est vraiment, vraiment bien.”
Pour le chanteur, la priorité désormais est d’élire un nouveau président.
Le scrutin prévu d’ici août est “une chance de choisir le bon dirigeant, quelqu’un qui va être à leurs côtés”, estime-t-il. “Les gens doivent faire entendre leur voix, en particulier les jeunes. C’est votre avenir, ne les laissez pas le détruire.”
Source: AFP