“Enfin, notre voix va compter!”: Congolais, Ricardo Musungau vit en France depuis 23 ans, mais c’est la première fois qu’il va pouvoir voter depuis l’étranger aux élections présidentielle et législatives prévues mercredi en République démocratique du Congo (RDC).
Par Célia LEBUR
Fervent admirateur du président sortant, ce charpentier d’une cinquantaine d’années arpente le quartier Château Rouge, dans le 18e arrondissement de Paris en chantant les louanges de “Fatshi Béton”, surnom donné par ses partisans à Félix Tshisekedi, candidat à un deuxième mandat.
“On a maintenant la facilité à avoir des cartes d’électeur, de vote, tout ça, ça me fait du bien”, dit-il en saluant une commerçante de la rue de Panama, où se succèdent magasins de vêtements, épiceries exotiques et salons de coiffure qui font de cette artère grouillante le “petit Congo” de la capitale française.
Et de glisser, avec un clin d’oeil amusé: “Avant, on n’était pas considérés. Tout se passait… on peut dire dans le noir ou dans les ténèbres ! Mais maintenant, tout est dans la lumière”.
De manière inédite depuis l’indépendance en 1960, le scrutin dépassera les frontières du vaste Etat d’Afrique centrale aux quelques 100 millions d’habitants, pour se tenir aussi à l’étranger, un droit garanti par la loi électorale mais qui n’avait jamais été mis en oeuvre.
Les ambassades des cinq pays retenus par la commission électorale pour cette expérience “pilote” – France, Belgique, Afrique du Sud, Etats-Unis, Canada – ont donc enregistré en début d’année leurs ressortissants sur les listes électorales.
Avec un total de 13.290 électeurs (dont 5.822 en France), ce vote sera “surtout symbolique” au regard des 44 millions d’inscrits dans leur pays, reconnaît Ange Pabolangi, chargé de suivre la timide campagne à l’étranger pour le parti au pouvoir, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS).
Ce chiffre modeste s’explique notamment par le fait que Kinshasa ne reconnait pas la double nationalité, excluant de fait tous les Congolais d’origine ayant acquis une autre citoyenneté.
“C’est une reconnaissance importante, le président lui-même est issu de la diaspora, ayant longtemps vécu en exil à Bruxelles: c’est là que s’est organisée la lutte” contre la dictature de Mobutu Sese Seko dans les années 80 et 90 puis l’opposition aux régimes des Kabila père et fils (1997-2019), assure toutefois M. Pabolangi à l’AFP.
– Pays limitrophes exclus –
Ancienne puissance coloniale, la Belgique a en effet accueilli de nombreux opposants à l’époque menacés d’emprisonnement, à commencer par le père de l’actuel président et membre co-fondateur de l’UPDS, Etienne Tshisekedi.
La diaspora apporte aussi une contribution importante à l’économie congolaise (1,7 milliard de dollars en 2022 selon la Banque mondiale), en aidant les familles à payer les frais de scolarité ou les soins de santé dans un pays très riche en minerais mais dont les deux tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Pour Bob Kabamba, professeur de sciences politiques à l’Université de Liège, cette opération “marketing” est “complètement insignifiante” si on considère que la grande majorité des Congolais de l’étranger – plusieurs millions – se trouvent dans les pays limitrophes comme l’Angola, le Congo Brazzaville, la Zambie, le Burundi ou encore le Rwanda.
“Le régime en place à Kinshasa sait parfaitement que ces diasporas ne lui sont pas favorables, elles sont déplacées pour une bonne raison, et il n’est évidemment pas question de leur accorder le droit de vote”, affirme M. Kabamba.
C’est particulièrement le cas des Congolais appartenant à des minorités ethniques comme ceux vivant au Rwanda, ennemi juré de Kinshasa accusé de soutenir les groupes armés qui occupent une partie de l’est de son territoire.
A Château Rouge, si beaucoup des gens interrogés approuvent le principe même de pouvoir participer au scrutin, la plupart ne sont pas dupes de l’utilité d’un tel vote.
“Est ce qu’ils vont prendre ça (le vote de la diaspora) en considération ? Est-ce que ça sera bien organisé ? Est-ce que ça sera bien réparti pour nous qui sommes à l’étranger ?”, questionne Nanou Nundelou en tirant sur un joint d’un oeil torve, visiblement sceptique.
Installée derrière un carton qui lui sert d’étal, Blondine, vendeuse à la sauvette, croque d’un air tout aussi blasé dans sa chikwangue (pain de manioc).
“Moi c’est gâté (impossible) pour voter ici ; Je suis Française donc je peux choisir entre Macron et Mélenchon mais pas entre Fatshi et (l’opposant Moïse) Katumbi”, dit-elle. “Je le regrette, mais c’est comme ça. D’autres voteront à ma place”.
Source: AFP