Des visiteurs regardent des manuscrits à la Librairie Al Imam Essaouti, à Tombouctou le 8 avril 2015 | AFP
En menaçant de les brûler lorsqu’ils contrôlaient en 2012 Tombouctou, dans le nord du Mali, les jihadistes du Sahel ont rappelé au monde la valeur des légendaires manuscrits de cette cité mythique, désormais au centre d’une opération internationale de sauvetage sans pareil.
Depuis plus de deux ans, grâce à des financements internationaux (essentiellement allemands), les quelque 380.000 manuscrits, témoins d’une histoire et d’une culture remontant au onzième siècle, sont conservés à Bamako, après avoir, dans des opérations clandestines dignes d’un film d’action, été exfiltrés de la grande ville du Nord, alors aux mains des intégristes armés.
C’est dans une grande maison d’un quartier populaire de la capitale malienne que l’opération de nettoyage, de numérisation et de conservation est menée par des membres de la faculté de Lettres de Bamako, sous l’égide de l’ONG malienne Savama-DCI (“Sauvegarde et valorisation des manuscrits pour la défense de la culture islamique), créée en 1996.
“Nous commençons par les ouvrir délicatement, nous passons une brosse douce puis les préparons pour les photographier”, explique Abdelkader Haïdara, président de Savama.
Les feuilles des textes, qui ont dormi pendant des siècles dans leurs couvertures en peau de chèvre ou de chameau, sans reliure, sont posées sous les objectifs d’appareils photo et les flash crépitent.
“Une fois numérisés, plus besoin de les manipuler, ils resteront dans leurs boîtes en carton et pourront être traduits et étudiés”, précise Souleymane Diarra, responsable de la numérisation. “Nous en avons déjà numérisé près de 30.000”.
Si l’existence de ces mythiques manuscrits en arabe était connue quand ils étaient conservés à Tombouctou dans des fondations ou chez des particuliers, leur contenu restait mystérieux : moins de 5% ont fait l’objet de travaux scientifiques ou de traduction.
– Autodafé –
“Il y a des textes religieux, mais aussi des correspondances, des poèmes, des actes juridiques, des actes de commerce, des carnets de voyage, de la théologie, de la médecine, du soufisme, des mathématiques, de l’astronomie, de la géographie, des textes sur la résolution des conflits, de la philosophie, des traditions. Et aussi beaucoup de rapports sur des échanges commerciaux”, précise Abdelkader Haïdara en faisant visiter les lieux, lundi, aux ministres français et allemand des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault et Frank-Walter Steinmeier.
Sur ces rayonnages, se côtoient la copie d’une biographie du prophète Mohamed du XIIe siècle, un Coran en écriture haoussa du XVIIIe ou un exemplaire du traité de Madrid de 1880 sur les protections consulaires accordées par le Maroc aux représentants de pays occidentaux.
Une fois photographié, chaque manuscrit est placé dans une boîte en carton, faite sur mesure, dans une autre pièce : carton non-acide venu d’Angleterre, toile de lin et colle naturelles, selon les prescriptions de spécialistes internationaux de la conservation des manuscrits, venus apporter leur expertise. Ils sont ensuite rangés, par boîtes de couleurs, sur des rayonnages.
Préservés pendant des siècles par l’air sec du désert, les manuscrits risquent de souffrir de l’humidité de Bamako à la saison des pluies : des climatiseurs et des déshumidificateurs, alimentés par des panneaux solaires, ont été installés.
“Sur les huit milliards de francs CFA (près de 12,2 millions d’euros) de notre budget, nous en avons dépensé environ 40%”, ajoute le président de Savama. “A ce rythme, nous devrions avoir terminé le classement, la digitalisation et la mise en boîtes en 2018.”
Les archives numérisées sont conservées dans des disques durs, dont plusieurs sauvegardes vont être confiées à des universités internationales et instituts. Un répertoire précis est également établi.
A partir de là, un autre budget devra être trouvé pour traduire, essentiellement en français et en anglais, ces milliers de textes et les mettre à la disposition, via des serveurs, des chercheurs et amateurs du monde entier.
Quant à leur retour à Tombouctou qui, au XVIe siècle comptait 40.000 étudiants venus d’Afrique, d’Arabie ou d’Espagne suivre les cours de maîtres réputés, “il est souhaitable”, dit M. Haïdara, “mais seulement quand les conditions de sécurité le permettront”.
Juste avant d’être chassés de la ville par les soldats français de l’opération Serval, les jihadistes avaient, en janvier 2013, organisé un autodafé dans lequel 4.200 manuscrits, qui se trouvaient dans une salle de restauration et n’avaient pu être évacués, sont partis en fumée.